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présence des commissaires piémontais, il les trouva presque aussi agités que le peuple. Les mêmes craintes remplissaient toutes les ames.

Le peuple pourtant s’était attroupé devant la maison des commissaires, et demandait qu’on lui communiquât le texte complet des dernières dépêches. On lui lut un article d’un journal de Gênes (il Pensiero italiano), qui rendait compte de l’armistice et de ses conditions ; mais ce journal ne faisait aucune mention de l’escadre ni de la garnison piémontaise de Venise. On demanda des explications sur ce dernier point. Les commissaires répondirent, les larmes aux yeux et d’une voix émue, qu’eux-mêmes ignoraient complètement ce qu’on avait décidé au sujet de Venise. Cette assurance n’était pas faite pour calmer le peuple. Voyant le tumulte augmenter, les commissaires supplièrent M. Manin de partager avec eux le pouvoir. M. Manin répondit qu’il ne pouvait accepter une autorité émanant de celui-là même qui avait peut-être déjà signé la reddition de Venise. Enfin, après une longue discussion, interrompue sans cesse par les cris de la foule attroupée devant le palais, les commissaires convinrent de conserver leurs pouvoirs jusqu’à l’arrivée de nouveaux ordres du roi, mais de n’en pas faire usage et de ne plus intervenir dans l’administration du pays. Quelque étrange que fût ce moyen-terme, il fut adopté, parce qu’il calmait les craintes populaires ; mais le pays demeurait de fait sans gouvernement.

Ce fut encore M. Manin qui tira Venise de cette position anormale. « Nous allons, dit-il, convoquer immédiatement l’assemblée qui a décrété, il n’y a guère plus d’un mois, la fusion avec le Piémont, et nous lui demanderons de nommer un gouvernement provisoire ; mais, d’ici là, Venise ne peut rester livrée au désordre. L’ennemi est à nos portes, et le soin de défendre la ville ne pèserait sur personne ! Il faut se procurer de l’argent, nouer des relations diplomatiques. Ajouterons-nous l’anarchie à nos autres malheurs ? La situation exige le dévouement d’un honnête homme, qui se charge de tout jusqu’à la réunion de l’assemblée nationale. Je serai cet honnête homme. » Ces mots, adressés du haut du balcon au peuple, étaient prononcés avec un accent de franchise qui ne permettait pas d’hésiter. Le calme se rétablit aussitôt, et la foule se retira, pleine de confiance dans l’énergique citoyen qui se chargeait une fois encore des destinées du pays.

Il ne fallait que deux jours pour réunir l’assemblée, dont les membres étaient presque tous présens à Venise. Le 13 août, M. Manin put exposer devant les représentans du pays les motifs qui l’avaient déterminé à prendre en main le pouvoir. « La Haute-Italie est en ce moment dans une situation des plus tristes et des plus extraordinaires, dit M. Manin. Dans les ténèbres où nous sommes, nous ne devons nous en rapporter qu’à nous-mêmes du soin de notre salut. Si les malheurs