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grave et lui diraient : « Nous ne pouvons plus demeurer dans l’abandon où vous nous laissez ; unissons-nous toutes ensemble au Piémont ; ou bien, si cette démarche vous répugne pour votre compte, ne trouvez pas mauvais que nous l’exécutions pour le nôtre. »

Venise ne fit entendre ni plaintes ni récriminations. Sa position, fâcheuse quant au présent, n’offrait aucune sécurité pour l’avenir. L’abandon des provinces la privait subitement de toute ressource. En effet, Venise ne pourvoyait à ses besoins que par le Levant et l’Adriatique, ou par les provinces de la terre ferme. Les bâtimens autrichiens, qui préludaient au blocus en croisant dans les eaux de Venise, avaient presque détruit son commerce maritime. La terre ferme lui manquait tout à coup, et c’était pour satisfaire aux exigences de celle-ci que Venise s’était dépouillée des meilleures armes de son arsenal et de la plus grande partie des sommes versées au trésor. Pour subvenir aux besoins toujours croissans des provinces, Venise avait ouvert un emprunt sous la forme d’une augmentation d’impôt, dont elle-même avait payé sa part : quand le tour des provinces arriva, elles s’étaient contentées de déclarer que, l’objet de cet emprunt étant de subvenir à leurs propres besoins, il était plus court et plus simple de garder le montant de l’impôt et de l’employer directement au but indiqué par Venise même. Cet acte d’indépendance n’ayant pas entraîné la séparation financière immédiate et complète des provinces d’avec la capitale, Venise avait continué à les défrayer, tandis que les revenus provinciaux n’arrivaient plus au trésor.

Dans la nouvelle situation où la plaçait la brusque résolution des provinces, Venise se vit forcée d’ouvrir un second emprunt et de délivrer à ses créanciers des obligations payables au porteur. Les manifestations de la terre ferme eurent d’ailleurs pour effet d’amener dans ses lagunes un plus grand nombre de volontaires, que le sort de la malheureuse ville touchait vivement. On vit accourir des Siciliens, commandés par le jeune et vaillant La Masa, l’un des héros de Palerme, des Napolitains groupés autour du général Pepe, des Romains fatigués des lenteurs étranges du général Durando, des Toscans, des Milanais appartenant à la garde nationale de Milan, et qui aimaient mieux se battre autour de Venise que monter la garde devant le palais du gouvernement provisoire. Tous ces corps formaient une garnison de quinze à vingt mille hommes, qui suffisaient à la défense de la ville.

La situation de Venise n’était pas désespérée, mais elle était fort grave. A la communication que lui firent les provinces, elle répondit par la convocation d’une assemblée générale pour le 18 du mois de juin. C’était cette assemblée qui devait décider de l’avenir de Venise.

Il ne restait plus qu’à attendre le 18 juin, et Venise appelait ce jour de tous ses voeux, quand des désastres imprévus vinrent modifier gravement