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seul maître. Durando était donc invité à prendre les ordres du roi de Piémont et à les exécuter comme tout officier ceux de son chef. Dès-lors s’évanouissait le dernier espoir des Vénitiens. L’armée de Durando, c’était encore l’armée piémontaise, et, si on s’adressait à lui, on pouvait prévoir qu’il répondrait comme Charles-Albert avait déjà répondu aux députés de Venise : « L’envoi de troupes sur le territoire vénitien, avait dit le roi, n’est pas une question militaire ; c’est une question politique. »

Privée de l’appui du contingent romain, Venise pouvait se tourner vers le contingent napolitain ; mais la désertion des troupes commandées par le général Pepe lui enleva bientôt cette dernière espérance. Ainsi de trente mille hommes à peu près, qui se dirigeaient sur Venise et qui paraissaient destinés à être pour elle ce que Charles-Albert et les soldats piémontais étaient pour la Lombardie, pas un ne traversa les lagunes. La première armée, commandée par Durando, passa sous les ordres du roi de Piémont, et chacun sait quel secours elle apporta à la malheureuse Vicence ; la seconde, commandée par le général Pepe, rebroussa chemin avant d’avoir traversé le grand fleuve qui sépare l’Italie du nord de l’Italie centrale, et le vieux général, illustre par ses malheurs, qui était sorti de l’exil dans l’espoir de conduire, un jour au moins, les cohortes napolitaines au combat, était resté seul, plus tôt encore cette fois que de coutume, et seul il se rendait à Venise pour lui offrir, à défaut d’une armée, son bras et sa vieille expérience. Venise accueillit avec reconnaissance le malheureux général, et le plaça à la tête de la petite armée dont elle pouvait disposer. Il y avait quelque chose de noble et de touchant dans la résolution du général Pepe, de cet homme dont la vie avait été une suite de généreux projets toujours déjoués par la fortune, et qui, près de descendre dans le tombeau, s’était relevé par un élan suprême pour retomber victime d’une dernière illusion.

Tous les efforts de Venise pour organiser une force militaire capable d’une résistance sérieuse avaient donc échoué. Cependant les provinces ne lui tenaient pas compte de son zèle malheureux : elles ne cessaient de demander des soldats et de l’argent. Les membres de la consulte siégeant à Venise adressaient à leurs commettans des plaintes incessantes sur le peu de cas que le gouvernement central faisait des provinces, sur les manières brusques et dédaigneuses du président. Les demandes d’argent se croisaient de Venise aux provinces et des provinces à Venise. Celle-ci, en sa qualité de capitale et de siége du pouvoir central, était dans son droit lorsqu’elle prétendait que les provinces devaient lui fournir les moyens de pourvoir à la défense commune. Cependant les provinces se croyaient autorisées à garder leurs ressources pour elles-mêmes, et, lorsqu’elles prirent la détermination