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joint ses instances à celles des représentans de Venise. Après avoir long-temps hésité, le comte répond enfin : « Je n’ai pas le droit de faire ce que vous me demandez et je ne le ferai pas ; mais ce qui m’est permis, c’est de remettre mes pouvoirs au commandant militaire. A partir de cet instant, je lui cède toute mon autorité. Adressez-vous à lui. »

La foule se porta aussitôt devant le palais du général Zichy, et les mêmes instances lui furent adressées. Le général comte Zichy resta un moment sans pouvoir répondre. Une vive émotion l’oppressait ; mais son visage avait pris une expression solennelle et douce qui révélait d’avance quelle serait sa réponse. Le souvenir des années heureuses passées dans cette Italie qui attendait maintenant de sa bouche une parole de paix ou de guerre, ce souvenir venait de parler dans l’ame du comte plus haut que le devoir militaire. « Je pourrais, répondit-il aux députés de Venise très pâle et d’une voix émue, je pourrais laver vos rues dans le sang, je ne le ferai pas. Vous me demandez d’abandonner Venise ; c’est peut-être ma sentence de mort que je signe. Soit. Que l’Italie se souvienne que je lui ai payé ma dette de reconnaissance, et, lorsqu’elle amassera les malédictions sur la tête des soldats de l’Autriche, qu’elle en excepte mon nom. » Quelques momens après, le général signait l’acte qui éloignait les troupes autrichiennes[1]. Le même jour, la république de Venise était proclamée ; Manin en était le président, Tommaseo figurait parmi ses ministres.


II

Pendant que Venise voyait les Autrichiens se retirer devant ses premières injonctions, la Lombardie remportait presqu’à la même heure, mais en l’achetant beaucoup plus cher, la même victoire, et elle se bornait à créer un gouvernement provisoire. On doit regretter que Venise ait agi avec moins de réserve ; mais le mot de république avait été prononcé dans l’ardeur de la mêlée, et l’effet produit par ce mot sur le peuple ne permettait guère d’adopter brusquement tout autre signe de ralliement. Quel drapeau d’ailleurs eût parlé plus énergiquement à l’imagination, à la mémoire des Vénitiens ? On l’adopta donc : on crut que l’essentiel était de ne pas se priver, dès l’abord, de la force qu’on puisait dans l’exaltation populaire, on oublia peut-être que cette concession ne pouvait manquer de compliquer gravement les rapports de Venise avec le reste de l’Italie.

Pour bien comprendre la difficulté de la tâche qu’acceptaient MM. Manin et Tommaseo, il faut se rappeler combien Venise, jusqu’à la veille

  1. Il a été plusieurs fois question de condamner à mort le comte Zichy. Aujourd’hui encore il n’est pas rendu à la liberté.