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du colonel Marinowich, et nous avons dit combien le successeur de l’archiduc Frédéric dans le commandement de la marine vénitienne était détesté. Marinowich apprit avec terreur l’envahissement de son dernier asile. Il ne lui restait d’autre moyen de salut que la fuite. Connaissant tous les détours, tous les passages secrets de l’étrange bâtiment que Venise nomme l’arsenal, le pâle et tremblant amiral se précipita dans ce labyrinthe, cherchant avec angoisse des issues qui partout se trouvaient fermées devant lui. Enfin il allait atteindre une porte de sortie, lorsqu’un ouvrier le reconnut, le saisit par le bras, et, l’ayant regardé en face, lui enfonça dans le ventre un outil de serrurerie qu’il tenait à la main. La blessure était mortelle ; cependant Marinowich ne tomba pas sur-le-champ. Deux de ses officiers purent l’entraîner, par un effort désespéré, vers une tour au sommet de laquelle ils espéraient trouver une retraite inaccessible ; mais là encore la fureur populaire les poursuivit : les ouvriers du dehors étaient accourus avec les ouvriers de l’arsenal à l’appel du meurtrier de Marinowich, et la retraite de l’amiral fut découverte. Cette fois, le peuple vénitien donna un démenti à sa réputation de douceur, et toutes les haines qui s’étaient amassées sur la tête du malheureux Marinowich éclatèrent dans une horrible explosion. Les marches sanglantes de l’escalier le long duquel Marinowich s’était traîné guidèrent une troupe furieuse vers le fugitif, que ses deux compagnons s’efforcèrent en vain de défendre. Affaibli par la perte de son sang, par la mort qui s’approchait, Marinowich fut arraché des bras de ses amis, traîné au bas de l’escalier, puis dans la cour. Ses meurtriers s’aperçurent enfin qu’ils ne tenaient plus qu’un cadavre. Cette scène tragique révélait trop bien à quels excès pouvait se porter la fureur populaire, si des chefs courageux ne la modéraient pas : ces chefs heureusement se présentèrent. A peine le meurtre de Marinowich était-il consommé, que M. Manin entrait à l’arsenal. C’était lui qui avait donné le signal de la résistance à l’Autriche, c’était à lui aussi qu’il appartenait de retenir le peuple sur une pente funeste.

Quelques paroles sévères de M. Manin suffirent pour ramener la foule qui remplissait l’arsenal à des sentimens de modération et de justice. Un cri qu’on n’avait pas entendu la veille venait de retentir et marquait un nouveau pas de la révolution vénitienne : c’était le cri de vive la république ! La ville entière répéta ce cri, et le sort en fut jeté. Pendant que trente à quarante jeunes gens se jettent dans des bateaux et vont surprendre les forts, qui se rendent après une courte fusillade, le peuple se presse devant le palais du gouverneur et exige qu’il quitte la ville. Le corps municipal, les hommes les plus influens et les amis personnels du gouverneur le supplient de céder aux exigences populaires et de ne point tenter le sort des armes. La comtesse Palfy elle-même