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on le plaçait au-dessus des plus grands marins et des plus hardis navigateurs ; mais le peuple ne fut point dupe de ces pompeux témoignages de la douleur officielle. Dans le pâle et silencieux jeune homme si rapidement enlevé à la vie, il avait vu, avec cet instinct poétique qui lui est propre, un cœur tendre dont les aspirations, généreuses peut-être, avaient été sacrifiées à d’étroits préjugés de cour, et il avait plaint cette jeune victime, qui, placée sous la garde de l’inflexible Marinowich, n’avait pas su lutter, mais avait fui la vie comme on fuit la souffrance. La mort du jeune archiduc laissait au colonel Marinowich le commandement en chef de la marine vénitienne. Dans ce poste élevé, Marinowich ne se distingua que par sa rudesse intraitable. Le peuple détestait cet homme, qu’il rendait responsable de la mort prématurée de l’archiduc. Une mesure prise par Marinowich, et dictée par un zèle d’économie poussé chez lui jusqu’à l’avarice, acheva de lui aliéner la population. Le colonel admit les forçats à travailler dans l’arsenal à la place des ouvriers, qui avaient hérité de leurs pères et de leurs aïeux le privilége du travail dans les ateliers de la marine. Ce dernier grief avait porté jusqu’à l’exaspération la haine populaire dont Marinowich était l’objet.

La même désaffection ne planait pas sur le gouverneur comte Palfy. D’une famille hongroise attachée à la maison d’Autriche, M. le comte Palfy était un partisan sincère du pouvoir absolu, mais il était l’ennemi non moins déclaré des moyens violens et des mesures de rigueur. La comtesse, femme d’une grande piété, maintenait sans peine son mari dans les voies d’une politique de conciliation. Venise n’était donc pas sérieusement menacée de ce côté ; elle l’était encore moins du côté du général commandant comte Zichy. Établi depuis plus de vingt années dans la Lombardie, le comte Zichy avait adopté les habitudes et appris le langage des vaincus. On n’ignorait pas à Venise comment s’était opérée cette conversion singulière. Une jeune fille du peuple de Milan, belle de cette beauté qui inspira jadis Léonard et Luini, avait été remarquée par le comte, qui, après l’avoir courtisée long-temps avec les mêmes égards respectueux qu’il eût prodigués à une femme du monde, avait fini par l’enlever à ses parens. Telle avait été l’origine d’une liaison qui se continuait depuis vingt ans, et qui attachait le comte à l’Italie comme à une seconde patrie.

C’est devant le comte Palfy qu’il convenait de porter d’abord les réclamations du peuple. Deux jours après la libération de MM. Manin et Tommaseo, la foule se rendit sous les fenêtres du palais du gouverneur pour demander la constitution promise. Les membres du conseil municipal et quelques délégués du peuple montèrent chez le comte ; d’autres chefs populaires restèrent sur la place pour diriger, pour contenir au besoin les mouvemens des masses. Un signal donné