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bien ? qui pouvait répondre de sa fermeté, de son énergie ? Ce fut encore M. Tommaseo qui se chargea de sonder le terrain à ses risques et périls.

L’enceinte de l’Athénée de Venise fut la nouvelle arène que M. Tommaseo choisit, comme un terrain plus favorable, pour y commencer sa lutte pacifique. L’Athénée de Venise est, comme tous les établissemens de même nom, un centre de réunions et de solennités littéraires. C’est là que M. Tommaseo se rendit, le 23 décembre 1847, pour y développer sa proposition sur la loi de censure dans un discours qui concluait à réclamer une application plus libérale de cette loi par une pétition rédigée et signée séance tenante. « L’honneur de la nation, dit-il en terminant, demande un acte, plusieurs actes de courage civil, au moyen desquels l’opinion publique soit manifestée clairement et unanimement. De pareils actes seront une source inépuisable de bienfaits. Le temps presse… nos gouvernans le savent. Loin de s’effrayer ou de s’indigner d’actes semblables, ils nous en estimeront davantage… Le silence, en pareil cas, serait une bien plus terrible menace… Nous sommes restés assez long-temps muets,… et il nous faut pour parler du courage, puisque, dans la Vénétie plus qu’en toute autre partie de l’Italie, il y a péril à élever la voix ; c’est pourquoi j’élève la voix et j’abandonne pour quelques instans ma solitude chérie, je fais violence à mon caractère et à mes habitudes, et je vous prie, ô Vénitiens, d’accueillir mes paroles fraternelles avec l’affection qui me les a dictées. Fatigué et humilié des cruels sarcasmes que certains Italiens osent lancer contre nous, j’ai répondu à nos détracteurs que les Vénitiens conservent le souvenir de leur glorieux passé, et qu’ils méritent un honorable avenir.

Pour comprendre l’effet de ces paroles, il faut bien se rappeler quel était celui qui les prononçait. Ce n’était ni un fougueux démagogue ni un conspirateur étourdi. C’était un homme grave, justement respecté, et dont le front avait pâli dans d’austères études. Tout portait, dans le discours de M. Tommaseo, l’empreinte du calcul et de la réflexion ; rien n’y sentait l’emportement et la colère. Aussi l’étonnement timide qui s’était d’abord emparé des auditeurs fit-il bientôt place à une bruyante sympathie. L’orateur put à peine achever, tant le public était impatient de lui témoigner son adhésion et de partager les dangers de son entreprise. Et lorsqu’après un court silence M. Tommaseo, étendant la main sur une feuille de papier blanc placée sur la table, dit à l’assemblée : « Je propose de signer sur-le-champ la pétition dont j’ai parlé, le voulez-vous ? » le cri d’assentiment fut unanime. Lecture de la pétition fut alors faite par M. Tommaseo, et les nombreuses signatures qui la couvrirent[1] dès ce jour même ainsi que les jours suivans

  1. M. Tommaseo envoya le manuscrit de son discours à un fonctionnaire autrichien le baron de Rubeck, en y joignant une lettre dont voici un curieux passage : « Je présente mon discours et en demande l’impression à Vienne même. La défendre serait inutile, puisque plusieurs copies en sont répandues à cette heure en Italie ; la permettre serait à la fois digne et prudent, puisque cela prouverait que l’Autriche nous écoute et nous comprend. D’autres instances suivront bientôt cette demande. Il nous faut un gouvernement conforme au génie de la nation, des députés qui représentent efficacement la volonté de cette nation, la faculté pour tous les citoyens de manifester leurs désirs au moyen de la presse. Dans ces trois choses, ce pays trouvera la paix, et l’Autriche le salut. Sans elles, le déshonneur et la ruine augmenteront de jour en jour ; les revenus ne suffiront pas aux dépenses, le gouvernement fera double faillite… Il faut ou reconnaître nos droits ou périr après une agonie d’autant plus maudite, qu’elle sera plus longue. »