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un ardent patriote : c’est un penseur et un écrivain d’élite. Une piété tolérante, une imagination vive et poétique, une vaste érudition, s’unissent, chez M. Tommaseo, à un noble caractère. M. Manin avait protesté contre l’Autriche au nom des intérêts matériels de l’Italie : il appartenait à M. Tommaseo de prendre en main la défense des intérêts intellectuels, et c’est ce qu’il fit en saisissant l’occasion qui lui était offerte par la réunion du congrès pour tenter une démarche dont la docte assemblée n’osa pas malheureusement partager avec lui la responsabilité glorieuse. Il s’agissait de la loi autrichienne de censure. Cette loi ne sanctionne aucune des vexations auxquelles la pensée est soumise dans l’empire, plusieurs de ses dispositions sont même assez conciliantes ; mais, ainsi que cela arrive pour toute chose en ce pays, les prescriptions libérales de la loi ne sont pas exécutées, et le magistrat se borne à en observer, avec un zèle exagéré, la partie restrictive[1]. M. Tommaseo demandait, dans le mémoire qu’il adressait au pouvoir central, la remise en vigueur des dispositions libérales de la loi de censure. Il avait sollicité en même temps des savans du congrès réuni à Venise l’appui de leur adhésion solennelle, dont leur signature, placée au bas du mémoire, eût été le gage ; mais le congrès rejeta cette proposition sans même la discuter. L’honneur de sa démarche courageuse resta donc tout entier à M. Tommaseo.

L’effort tenté par M. Tommaseo pour amener le congrès scientifique dans les voies de l’opposition légale, M. Manin le renouvela bientôt auprès d’une autre assemblée, que son caractère préparait mieux à un rôle politique. M. Nazzari, député de la province de Bergame à l’assemblée centrale de Milan, venait de présenter à ses collègues un projet de rapport et de pétition tendant à réclamer du gouvernement autrichien l’exécution des promesses de 1814 et de certaines lois libérales tombées en désuétude. M. Manin résolut de suivre au sein de la congrégation centrale de la Vénétie l’exemple donné à Milan par M. Nazzari. Il fit entendre à cette assemblée de mâles et sévères paroles, qui ne trouvèrent pas d’écho dans l’auditoire même, trop peu accoutumé encore à un pareil langage, mais qui furent accueillies avec reconnaissance par tous les amis éclairés de la cause italienne. Après cette double expérience tentée auprès du congrès scientifique et de la congrégation centrale, MM. Manin et Tommaseo comprirent qu’il fallait se mettre en rapports plus directs avec la population, et y chercher le point d’appui que les corps constitués leur refusaient ; mais cette population, la connaissait-on

  1. Il en est de même pour la loi organique des communes en Autriche. On se demande comment cette loi, la plus libérale et la plus démocratique de l’Europe, a pu être dénaturée par l’interprétation des magistrats au point de consacrer l’asservissement presque complet des populations rurales. Ces abus d’interprétation se reproduisent au reste toutes les fois qu’il s’agit d’appliquer en Autriche une des lois libérales de Léopold Ier ou de Joseph II.