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manquent. Il faut à la tête des troupes un homme du métier, et surtout, dans une colonie qui puise ses ressources, ses richesses, les principaux élémens de sa force et de sa durée au sein d’une nombreuse population indigène, c’est une dangereuse politique que celle qui porte atteinte à la considération du chef militaire proprement dit. Il peut se présenter telle circonstance où ce chef, blessé dans sa dignité, qui est celle de l’armée, soit tenté de prendre dans le gouvernement la place que lui refuse la jalouse susceptibilité du pouvoir civil. C’est au moins un grave inconvénient que la possibilité d’un conflit de cette nature. Nous croyons fermement qu’on reconnaîtra tôt ou tard la nécessité de modifier le règlement organique des Indes néerlandaises dans le sens que nous indiquons[1].

Les conseillers des Indes jouissent, à Java, d’une très grande considération, tant à cause du respect traditionnel qui s’attache à leur dignité et du traitement élevé qui l’accompagne que parce que ces avantages sont, en général, le prix de longs et éminens services ; mais l’importance gouvernementale, et conséquemment l’influence réelle de ces hauts dignitaires, ont beaucoup diminué depuis un quart de siècle. Le gouverneur-général est tenu, il est vrai, de consulter le conseil (art. 11 du règlement organique) sur les questions d’intérêt général ou même sur les questions particulières qui intéressent directement l’administration ; mais, indépendamment de ce qu’il y a un certain nombre d’affaires réservées, et en particulier les affaires militaires, le gouverneur-général est toujours libre de décider contrairement à l’avis de son conseil, et n’est responsable que vis-à-vis du roi. Le gouverneur-général et les membres du conseil (article 4) ne peuvent faire aucun commerce ni pour leur propre compte ni pour celui d’autrui ; ils ne peuvent avoir aucune part on aucun intérêt dans aucun armement de navires, contrat, fourniture, fermage de marchandises, droits ou revenus, ou dans aucune affaire dont les gains appartiennent à la caisse de l’état. Ils ne peuvent, en outre, acheter ou prendre pour leur compte aucune

  1. Aux Indes néerlandaises, comme dans les Indes anglaises, les questions de préséance ont une importance réelle. Elles se lient d’un côté aux habitudes de la population indigène, habitudes dont il faut tenir compte pour bien administrer, de l’autre à l’organisation de la société coloniale, dont on ne saurait maintenir l’union, la force et l’ascendant moral, qu’en évitant avec soin toute atteinte inutile portée soit à la subordination, soit aux égards mutuels, soit à la dignité personnelle. Il faut donc que non-seulement les devoirs et les attributions soient clairement définis, mais encore que les droits et les prérogatives de chaque fonctionnaire et même de chaque classe d’habitans soient déterminés avec précision. C’est ce qu’ont fait les Anglais dans l’Inde. Nous doutons que cette sage précaution ait été adoptée à Java, ou du moins qu’une liste détaillée et complète de préséances et d’assimilations de grades ait été arrêtée par le roi pour les Indes néerlandaises. Nous avons pu nous convaincre par nos propres yeux, pendant notre séjour à Java, qu’il y avait encore matière, sur ces questions délicates, à bien des conflits.