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militaire ranimé par lui et exalté jusqu’à l’enthousiasme ; les véritables principes d’un grand gouvernement colonial posés et mis en pratique pour la première fois, tels nous paraissent être les titres de Daendels à la reconnaissance de ses compatriotes[1].

A peine entré en fonctions, Daendels rappela aux conseillers que ses instructions lui conféraient exclusivement le droit de faire des propositions au conseil ; que toute autre proposition devait être préalablement soumise à sa sanction ; qu’il était en son pouvoir de prendre une décision, au besoin, contre l’opinion de la majorité ; qu’à lui seul appartenait le commandement en chef des forces de terre et de mer. Le conseil des Indes, découragé et sans force contre un pouvoir dont la supériorité se faisait sentir chaque jour davantage, prit une attitude passive, et les Indes néerlandaises se trouvèrent bientôt soumises à un despotisme absolu. Ce gouvernement, dans un espace de temps assez court, réalisa de grandes choses et commit de monstrueux excès. Nous ne fermons point les yeux sur les erreurs ou les fautes de l’administrateur, sur les vices ou les égaremens de l’homme privé ; mais l’histoire, pour être impartiale, doit asseoir son jugement sur l’ensemble des faits accomplis. Les traces mêmes des violences de Daendels ont disparu, et les monumens de son intelligente et inflexible énergie subsisteront encore quand on aura perdu le souvenir de ses écarts.

La conduite de Daendels paraît avoir inspiré quelque inquiétude à Napoléon, qui, craignant qu’il ne se rendît indépendant de l’autorité impériale, alors reconnue à Java, le rappela en Europe et le remplaça par un militaire que ses antécédens étaient cependant loin de désigner au choix d’un chef qui employait de préférence les hommes heureux. Ce successeur, le général de division Janssens, porta le titre de gouverneur-général pour sa majesté dans les possessions situées à l’orient de l’île de France. Toutes les autres colonies hollandaises et françaises à l’ouest de l’île de France appartenaient déjà aux Anglais, et la colonie du cap de Bonne-Espérance leur avait été remise par ce général lui-même, en 1806, à la suite d’une capitulation. Les instructions du général Janssens sont restées secrètes. On a pensé que, comme représentant de l’empereur, il devait jouir d’un pouvoir à peu près illimité ; il n’en était pas ainsi. L’empereur, qui ne savait pas prévoir les malheurs d’assez loin, voulait franciser Java non-seulement au point de vue militaire, mais au point de vue administratif[2]. Il se croyait

  1. Nous n’avons pas oublié qu’il a versé son sang pour la cause de la France, et que son héroïque défense de Modlin en 1813 a ajouté une belle page de plus à notre histoire militaire. Comment expliquer que la Hollande n’ait su récompenser les services de ce grand homme qu’en l’exilant dans un petit comptoir d’Afrique, où il est mort ignoré ? Comme l’ingratitude des hommes, l’ingratitude des nations a ses victimes.
  2. Napoléon avait envoyé avec le nouveau gouverneur-général un officier-général, des officiers de tout grade et un grand nombre de sous-officiers, pour réorganiser l’armée. Deux auditeurs au conseil d’état accompagnaient le général Janssens, avec mission de l’aider dans la réforme et la réorganisation de l’administration coloniale. L’un d’eux, M. de Lareinty, après avoir occupé avec distinction des postes importans, au retour de cette mission aventureuse, a été enlevé, par une mort prématurée, au service du pays et à l’affection de ses nombreux amis. L’autre, M. de Panat, diplomate et administrateur éclairé, a siégé long-temps dans nos assemblées législatives et est encore en ce moment représentant du peuple.