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ses employés, dont les services sont suffisamment rétribués, puissent, directement ou indirectement, entraver ce commerce et chercher leur avantage en négligeant celui de leurs supérieurs. Il ne suffit donc pas que le gouverneur-général s’abstienne en réalité de toute opération commerciale particulière, il faut qu’il évite jusqu’au soupçon à cet égard ; car il est manifeste qu’un gouverneur-général qui spéculerait pour son propre compte s’entourerait de subordonnés disposés à le servir dans ses entreprises, tandis que les employés zélés et probes languiraient dans l’abandon et la disgrace, en sorte qu’on ne verrait bientôt aux Indes que des fonctionnaires avides et intéressés.

« Tout commerce particulier est comme une mauvaise herbe qu’il faut extirper à tout prix, car ce mal une fois enraciné ne pourrait être détruit sans pertes considérables pour le commerce même de la compagnie ; c’est pourquoi l’assemblée des directeurs, comme représentans de la compagnie des Indes orientales, devra se faire un devoir de ne nommer aux fonctions de gouverneur-général que des hommes qui ne puissent être soupçonnés de se livrer au commerce particulier[1]. »

Après avoir défini de même les devoirs du gouverneur-général comme chef de la justice et de la police, la compagnie ajoutait dans son instruction cette recommandation caractéristique : « Comme il importe avant tout que la justice et la police soient secondées par la religion chrétienne réformée, le gouverneur doit favoriser cette dernière selon ce qui se pratique dans les Provinces-Unies, et ne permettre l’exercice d’aucune autre religion, surtout du catholicisme[2]. » Enfin le gouverneur-général devait « travailler de toutes ses forces et de toute son industrie à atteindre le but commercial et civilisateur que se proposait la compagnie : 1° par la conquête, 2° par contrats exclusifs au profit de la compagnie, 3° par arrangemens ou traités spéciaux avec quelques-uns des rois ou princes de l’Orient, à l’effet d’être admis à commercer librement dans leur pays comme les nations les plus favorisées, aussi long-temps que cela pourrait convenir à la compagnie. »

Tels étaient les devoirs du fonctionnaire chargé de gouverner les Indes orientales sous le contrôle de la compagnie. Voyons maintenant comment on avait réglé son pouvoir et ses attributions. Il existe à cet égard trois instructions : la première, du 22 août 1617, confirmée par les états-généraux le 3 novembre suivant ; la seconde, du 17 mars 1632, et la troisième, du 26 avril 1650. Cette dernière a été regardée comme

  1. Le gouverneur, en entrant en fonctions, devait même jurer « de n’entreprendre ou de ne laisser entreprendre aucun commerce particulier, et de ne pas permettre que les vaisseaux chargeassent pour d’autres que pour la compagnie. »
  2. Ce système étroit de protection exclusive a fait place, de nos jours, à la plus judicieuse tolérance et même à la protection la plus libérale des différentes sectes chrétiennes. La sollicitude éclairée du gouvernement a été, comme nous le verrons plus loin, jusqu’à prévoir le cas où d’autres sectes pourraient s’établir de son consentement, et demander pour leurs ministres des traitemens payés par le trésor colonial, ainsi qu’il en est accordé aux ministres des sectes déjà protégées.