Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 24.djvu/72

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ouverte à tout ce qu’il y a d’élevé, ne rencontrent qu’une sève froide, une langue pâle pour vivifier la toile ; — plus sérieux enfin que l’école de nos jours, vouée généralement aux frivolités du métier, école de fleurs artificielles et d’élégans à-peu-près, — Léopold offre, en tant que peintre, cet heureux phénomène d’un équilibre complet entre la tête et la main, entre l’invention et l’exécution ; mais cette invention timide tient un compas toujours trop ouvert, mais cette exécution manque de largeur. Souvent de la grace et de l’élégance dans un geste, moins souvent dans tout l’ensemble d’une figure, et cependant bonheur dans les poses et dans les expressions ; un sentiment exquis du dessin, des lignes majestueuses, un style antique, mais aussi trop d’égalité dans la raison ; jamais l’entrain d’une grande nature en verve, jamais rien de cette fantaisie multiforme, de ce je ne sais quoi qui va de soi seul et se joue, et qui, dans les grands maîtres italiens, étonne par sa puissance de fécondité, par ses mille ressources inspirées, unies à un principe constant d’ensemble et d’harmonie : voilà Robert. En un mot, c’est un peintre plus réaliste qu’idéaliste. Qu’on mette, par exemple, en parallèle la Famille malheureuse, refaite par Prudhon, avec la peinture de Léopold représentant l’Enterrement d’un aîné de famille de paysans romains : l’effet produit par ce dernier tableau est grave et solennel, mais combien la poésie de l’autre est plus pathétique et plus touchante ! Des deux peintures, l’une vous étonne, l’autre vous saisit, vous émeut comme un cri du cœur. Ne demandez point à Robert une composition dont l’imagination fasse seule les frais, une allégorie, un dessin de caprice ; il ne saurait atteindre à la puissante poésie de la Justice et la Vengeance divine poursuivant le Crime ; son crayon ne saurait faire revivre Phrosine et Mélidor, ni l’Avarice foulant aux pieds les sentimens de la Nature, ni même les Vendanges, et tant d’autres charmantes compositions dont la main facile de Prudhon a fait autant de chefs-d’œuvre, comme en se jouant. Celui-ci, en quelque sorte, tient toujours le milieu entre la terre et le ciel :

Et même, quand il marche, on sent qu’il a des ailes ;


mais encore une fois, le crayon de Léopold ne se joue jamais : il garde toujours son sérieux et sa lenteur d’allure. A chacun son génie : le sien n’a point d’ailes.

Robert, il est vrai, n’avait pas dit son dernier mot dans le tableau des Moissonneurs. C’était son point de maturité complète à cette époque : il s’y montrait avec des défauts de moins et des qualités de plus ; mais, en parlant de son dernier ouvrage, les Pêcheurs de l’Adriatique, nous aurons à remarquer que chaque œuvre nouvelle attestait chez lui un progrès nouveau, que sa palette prenait successivement plus de richesse, son exécution plus de largeur, plus de cette liberté qui vivifie la toile, de même qu’un sang pur anime une belle carnation.