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ces problèmes importait en réalité beaucoup plus aux intérêts de telle ou telle classe de la société fondée par l’ancienne constitution qu’au gouvernement de Vienne. Il y a plus, sur quelques points, à l’égard de l’impôt, par exemple, de la libre transmission des terres, l’intérêt de ce gouvernement devait le rendre plus libéral que la noblesse des états. Il était en droit et en fait, ses adversaires sont obligés de le reconnaître, le protecteur des paysans, c’est-à-dire des huit dixièmes de la population. S’il eût voulu proclamer leur émancipation et abolir, par une résolution souveraine, les charges urbariales, il aurait révolutionné à son profit le royaume, et s’y serait créé une armée d’auxiliaires redoutables contre l’insurrection nobiliaire qui a éclaté depuis ; mais, je le répète, sauf quelques conspirateurs quand même, les esprits étaient alors à la paix, et c’est de bonne foi que tout le monde cherchait à préparer des réformés que le temps rendait d’ailleurs chaque jour plus nécessaires.

Rien n’était plus nécessaire, mais, il faut le dire aussi, rien n’était plus difficile. Les vieux bâtimens ne se prêtent qu’avec peine aux plans réguliers de l’architecture moderne. Il en est de même d’un pays : on ne sépare point brusquement le passé du présent ; se jeter violemment hors de toutes les traditions de l’histoire pour bâtir un édifice qui n’aurait d’autre appui que la logique et la raison pure, c’est une œuvre qu’aucun peuple n’a encore accomplie. Il faut que les esprits révolutionnaires en prennent leur parti. Comme on hérite du tempérament de ses pères, on hérite des institutions et de l’histoire de son pays. On peut changer ces institutions ou réformer cet état social, à peu près dans la mesure où l’on peut corriger un vice de santé ou modifier les humeurs ; malgré tout, le tempérament reste : ce n’est qu’après de nombreuses générations et des modifications successives que les familles humaines changent leur type primordial. Sans doute une transformation sociale se préparait depuis vingt ans pour la Hongrie : les événemens de Vienne en ont hâté l’explosion ; mais la révolution ne sera pas du noir au blanc. Quelques efforts qu’on fasse, l’aristocratique Hongrie ne ressemblera pas demain à la démocratie américaine ; tout ce qu’on voudrait dire à ce sujet pour nous représenter la société hongroise comme livrée aux mêmes instincts, aux mêmes passions que la nôtre, comme une nation de douze millions d’habitans emportée par le mouvement démocratique du jour, est démenti par la seule inspection du tableau que nous avons fourni en commençant ces études[1] ; entre les six cent mille nobles qui forment tout ce qui s’est appelé jusqu’ici le peuple hongrois et les huit millions de paysans affranchis de la veille, il y

  1. Voyez la livraison du 1er août.