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nationale qui constatait la séparation des deux peuples. Lorsque les idées de réforme se répandirent, cette revendication de la langue hongroise devint bientôt une de ces questions d’honneur qu’un parti n’est plus maître d’abandonner. Tous les ouvrages publiés par les réformateurs furent écrits en hongrois ; des instituts furent fondés et richement dotés pour sa propagation. « S’il était vrai que la constitution nous défendît de parler notre langue, je dirais : Périsse la constitution plutôt que la nationalité ! » s’écriait le député libéral Nagy Paul au milieu des bravos universels.

Le parti philosophique, et Széchény à sa tête, n’était pas moins vif. On cite comme un des modèles de l’éloquence hongroise le discours qu’il prononça à cette occasion. « Voilà, dit-il en commençant, une entreprise audacieuse, et qui donne bien raison à ceux que j’appelais depuis quinze ans les calomniateurs de ma patrie. Par quelle monstrueuse ingratitude ce pays veut-il reconnaître les bienfaits dont le comblent ses maîtres ? » Ces premières phrases avaient tenu en suspens l’assemblée, peu habituée à entendre un tel langage dans la bouche de l’orateur. « Oui, continua-t-il, voilà dix millions de factieux qui réclament le droit de parler leur langue, de rendre des lois intelligibles pour tous, et non des oracles écrits dans une langue morte et ignorée. » A la suite de ce discours, on vota d’enthousiasme une souscription pour fonder une académie destinée à la propagation de la langue hongroise. J’ai dit ailleurs à quelles sommes considérables s’étaient montés les dons patriotiques.

Déjà, en 1827, la diète avait, au moyen de souscriptions semblables, décrété l’érection d’une école militaire pour les enfans de la pauvre noblesse. Le gouvernement avait approuvé le projet des états. L’édifice s’éleva rapidement. On le montre à l’étranger dans la campagne de Pesth ; c’est un vrai monument d’architecture dont la grandeur et la beauté s’augmentent par l’aspect de la solitude qui l’entoure. Le silence et la solitude sont aussi dans son enceinte ; jamais il n’a reçu les élèves auxquels il était destiné ; au dernier moment, la veille de l’ouverture, quand on dut régler le programme des leçons, les états exigèrent que le commandement et l’exercice militaire se fissent en hongrois. Le gouvernement autrichien s’y opposa ; cette concession aurait détruit l’unité du service dans l’armée impériale, composée de tant de nations diverses. Les états et les souscripteurs persistèrent avec une énergie que rien ne put fléchir.

Pendent opera interrupta.


Rien de plus frappant que le spectacle de ce monument : je ne sais quelle ruine, produit de l’incendie ou de la guerre, dirait aussi énergiquement