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Dans tous les salons de Pesth, les étrangers pouvaient voir une gravure représentant Széchény dans une sorte d’apothéose, au milieu de nuages lumineux ; au-dessous, la Hongrie sortait du chaos, et le Danube, couvert de bâtimens de toutes les nations, roulait majestueusement ses eaux’ paisibles à travers les cataractes aplanies d’Orschowa.

Les années qui suivirent la diète de 1832-36 comptent parmi les plus heureuses de la Hongrie ; la vieille irritation du pays se calmait peu à peu. Une nouvelle politique prévalait dans les conseils du royaume. Le gouvernement s’était associé sans arrière-pensée aux résolutions de la majorité, laissant quelques-uns de ses vieux champions lever les bras au ciel, parce qu’on méconnaissait l’autorité du corpus juris. Il voulait marcher avec le nouveau parti sage et libéral, qui lui répondait des sentimens de la nation. D’autres questions avaient surgi cependant ; on réclamait des réformes d’un autre genre sur lesquelles, avec la meilleure volonté du monde, il était difficile de s’entendre, et pour lesquelles le gouvernement autrichien n’avait nulle complaisance. Ces réformes tenaient moins à l’organisation même du pays qu’aux rapports qui lient la Hongrie et l’empire.- Quand, par des propositions plus ou moins détournées, l’union des deux gouvernemens était mise en échec, la Hongrie voulant incessamment relâcher le lien, l’Autriche le resserrer, on ne pouvait raisonnablement espérer que l’alliance resterait ferme et qu’on marcherait constamment sous le même drapeau. On était d’accord sur les questions libérales, on ne l’était pas sur les questions nationales. Ce fut donc, de la part du gouvernement autrichien, une concession long-temps disputée que celle qui se rapportait à l’usage exclusif de la langue hongroise réclamé impérieusement par l’opinion publique. On y mit de la mauvaise grace, mais on finit par céder. L’article 4 des décrets de la diète décida qu’à l’avenir la langue hongroise remplacerait, dans le texte des lois, les discussions des chambres et les actes du gouvernement, l’allemand et le latin.

J’ai déjà eu l’occasion d’expliquer l’importance qu’on attachait de part et d’autre à cette substitution de langue. C’était plus qu’une dispute de mots, c’était une démonstration de la nationalité hongroise contre le gouvernement de Vienne. Celui-ci tenait moins à conserver le latin un peu barbare de la chancellerie hongroise qu’à amener la nécessité de la langue allemande. La querelle était ancienne. Nous avons vu Joseph II, plus hardi dans ses desseins, vouloir imposer aux Hongrois la langue de ses états héréditaires et mourir vaincu dans l’entreprise. La langue latine avait repris depuis son rang officiel ; c’était la seule que les états pussent réclamer constitutionnellement. C’était une langue morte dans laquelle les combattans faisaient halte, les uns contens d’avoir repoussé l’allemand, les autres satisfaits d’avoir encore éloigné le danger d’une langue