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Le droit constitutionnel des nobles de ne pouvoir être arrêtés que pour crime de haute trahison fut aboli. L’article 18 établit que les nobles pourraient être arrêtés pour fait de commerce et de lettres de change. Széchény n’avait pas eu de peine à établir que c’était à l’absence de toute garantie hypothécaire ou personnelle qu’il fallait attribuer les emprunts ruineux de la noblesse et les difficultés du commerce. Pendant long-temps, sans doute, cette loi ne recevra que de rares applications, mais l’adoption du principe n’en est pas moins remarquable.

L’auteur du Crédit avait signalé le manque de routes en Hongrie comme une des causes les plus énergiques de la pauvreté et de l’infériorité du commerce. Il exaltait en même temps les prodiges, à peine connus alors sur le continent, des chemins de fer ; ces nouvelles voies devaient être pour la Hongrie et son agriculture la source d’un merveilleux développement. L’article 25 assura des avantages considérables aux compagnies qui voudraient établir des lignes de chemin de fer : les subsides que l’état leur fournirait devaient être acquittés indistinctement par les nobles et les non-nobles ; les terrains pouvaient être occupés sans aucun égard à leur origine : autre victoire sur le privilège[1].

Mais ce fut surtout le sort des paysans et les questions qui s’y rattachaient qui excitèrent la sollicitude de la diète. Les solutions furent toutes conformes aux vœux du parti libéral. On proclama de nouveau le droit, souvent méconnu, de vente et de libre migration, c’est-à-dire la faculté, pour le paysan, de quitter son seigneur et de céder à un autre son usufruit. Les corvées furent réduites à cinquante-deux jours par an, distribués de manière à laisser aux paysans plus de liberté à l’époque des semences et des récoltes. On abolit les redevances, connues sous le nom de petites dîmes, prélevées sur les produits de la basse-cour, source intarissable de petites vexations. On trancha en faveur du paysan toutes les questions litigieuses de pâturage et de droit d’usage dans les forêts. Le pouvoir judiciaire fut enlevé aux seigneurs ; enfin, l’article 13 des décrets de la diète établit que tout paysan pouvait de son chef intenter une action judiciaire, soit à tout noble, soit à son seigneur lui-même ; cette loi constatait son émancipation définitive.

  1. Jusqu’à présent, de ces lignes de chemin de fer, il n’y a que celle de Vienne à Pesth qui ait été sérieusement poussée. Peut-être eût-il été plus sage de faire quelques centaines de lieues de bonnes chaussées dans le royaume ; mais il faut savoir profiter de l’entrain et des fantaisies même d’un peuple, si l’on veut rapidement avancer. Széchény connaissait cette disposition de l’esprit de ses compatriotes, qu’il partageait dans une certaine mesure. « C’est cela, disait-il, nous aurons des chemins de fer et point de routes ; que voulez-vous ? nous sommes partis tard, et nous avons hâte d’arriver : nous commençons la maison par le toit. »