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Le nom de Széchény était déjà célèbre ; nul ne connaissait cependant l’étendue et la variété de son esprit. À cette époque, beaucoup de ses compatriotes ne voyaient en lui qu’un ingénieur plus habile que ses devanciers ; mais son génie politique s’annonça bientôt avec cette supériorité qui impose à la multitude les chefs qu’elle croit choisir. Une suite de publications sur tous les sujets qui occupaient alors les esprits vint fonder la réputation politique de Széchény et décider du reste de sa vie. Ces pamphlets, où la raison revêtait le langage le plus fait pour animer des questions quelquefois arides, pour porter la clarté dans les esprits les plus prévenus, étaient écrits non plus en latin ou en allemand, mais en langue hongroise. C’était la première fois que des ouvrages de quelque importance se publiaient dans l’idiome magyare. L’auteur ne s’adressait pas seulement à quelques classes privilégiées, mais au peuple entier. La Lumière, le Crédit, la Carrière, se succédèrent rapidement et avec un éclat soudain. Par les questions audacieuses qui y étaient soulevées, par les solutions nouvelles, imprévues, qu’elles recevaient, par les motifs que l’auteur apportait à l’appui, motifs si contraires à tous les anciens préjugés, ces pamphlets et leur prodigieux succès rappellent assez bien quelques écrits qui parurent en France avant l’ouverture des états-généraux. La parole devance l’action, et les événemens qu’elle provoque sont quelquefois lents à lui obéir ; elle les annonce et les manifeste cependant à qui sait bien entendre : c’est l’écho de la conscience du genre humain. Quand un nouveau langage se parle dans le monde, c’est que de nouvelles idées font leur avènement et que les choses sont près de changer. Ce nouveau langage, Széchény le tenait hardiment à ses compatriotes. J’ai dit quel était l’état social de la Hongrie : une des prérogatives à laquelle tenait le plus la noblesse, moins par intérêt, par cupidité, que par un sentiment de fierté féodale qui confondait l’impôt avec le tribut, était d’être affranchie de toute contribution. Les paysans, indépendamment des corvées et des dîmes urbariales, payaient seuls les impositions à l’état et au comitat. C’étaient ceux au profit desquels cet ordre de choses avait été établi qu’il fallait convaincre et amener à le changer eux-mêmes. Széchény ne s’effraya point d’une telle tâche. Je voudrais donner, par quelques extraits de ses ouvrages, l’idée de cette raison pleine de verve, de son argumentation vive et pénétrante.

« Vous appelez privilège le droit de ne pas payer d’impôts ! Moi, je soutiens que c’est un outrage et une ruine ; comme nation, vous resterez éternellement dans l’enfance et la pauvreté ! — Quoi ! regarderiez-vous comme un privilège de ne pouvoir disposer de vos revenus pour réparer vos maisons, planter des arbres, tracer des allées dans vos parcs ? C’est précisément là cependant cette prérogative dont vous êtes si fiers ! Vous ne payez point d’impôts, soit ; mais vous n’avez ni chemins,