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vérités que l’assemblée constituante a répandue en 1789 dans le monde nouveau. Il se mit résolûment à l’œuvre. Plusieurs des hommes qui figuraient dans ses rangs sont aujourd’hui connus en Europe et ont pris part au gouvernement de leur pays : le comte Bathiany, président du conseil jusqu’à la dictature de Kossuth, le comte Louis Karoly, Erdödy, le baron Etvös, poète et orateur, datent de cette époque. D’autres, dont le tour serait certainement venu, et que la faveur accordée sous le dernier palatin à l’opinion libérale devait amener aux affaires, se sont vus écartés par la révolution du mois de mars. Hier ils étaient trop avancés, aujourd’hui ils sont trop conservateurs. Nous connaissons ces brusques ressauts de vent, comme disent les marins, par lesquels le côté gauche d’une assemblée en devient tout à coup l’extrême droite.


II

L’homme le plus brillant sans doute de cette pléiade politique, le plus influent et le plus populaire à l’époque dont je parle, fut le comte Étienne Széchény ; hélas ! j’ai eu à raconter quel terrible malheur a bouleversé sa raison et troublé son génie avant d’avoir pu faire connaître cette ame éprise de la gloire, cette vie dévouée à la patrie. Le nom de Széchény est célèbre en Europe depuis que l’on s’y occupe de la Hongrie, mais on a peu de détails sur les commencemens de sa carrière ; le bruit lointain de son éloquence a retenti à nos oreilles sans laisser rien de précis à notre souvenir. En attendant pour lui la justice de ses compatriotes, qu’il soit permis à un étranger qui connut et admira de bonne heure cet esprit supérieur de donner à cette impression vague du public une forme plus réelle et plus saisissable.

Le comte Étienne Széchény est né en 1792, d’une famille illustre dans les annales de la Hongrie et comme héréditairement vouée à sa gloire. Cette famille remonte aux temps des rois français de la maison d’Anjou ; on voit, en 1655, un de ses ancêtres conduisant à l’insurrection trois cents cavaliers et deux cents fantassins. Un de ses grands-oncles était évêque de Gran et primat du royaume à l’époque où la couronne passa dans la maison d’Autriche. Ce fut par la médiation et sous les auspices de Paul Széchény, évêque de Colocza, que se conclut, en 1707, le traité de Szathmar, entre Léopold et les confédérés hongrois. Enfin, en 1807, le père du comte Étienne, François Széchény, fit hommage à la diète de la célèbre collection de livres, manuscrits et pierres gravées qui porte son nom, et forme aujourd’hui la partie la plus importante de la bibliothèque nationale de Pesth. Fort jeune, Széchény prit part à l’insurrection hongroise de 1809 et au combat de Raab contre l’armée française.