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font le tour du monde à l’heure qu’il est, provoquant partout sur leur passage des révolutions et des ruines. Elles ont succombé dans Vienne, elles engagent la lutte à Berlin. On ne se figure pas le spectacle que présente la capitale des états prussiens depuis les événemens de mars, et particulièrement depuis ces derniers mois : des ministres sans énergie et sans conduite, une assemblée dominée ou écrasée par l’émeute, l’émeute en permanence, la royauté en défaillance. L’agitation des rues à Berlin est une agitation plus grossière que partout ailleurs, parce que le naturel berlinois est âpre et dur. Les clubs l’entretiennent avec une violence qui les élève au-dessus des nôtres, et les orateurs des clubs nous dépassent de plusieurs coudées par la profondeur de leur philosophie, comme par la naïveté farouche de leurs colères. Nous n’avons pas réussi à produire cette fois des célébrités de carrefour, comme nous en avions en 92 : Berlin en possède de quoi défrayer toute l’Allemagne, et, le ridicule ne mordant pas sur l’esprit allemand, la cité de l’intelligence, comme elle se nomme elle-même, pourrait bien conserver long-temps ses héros populaires, à moins que les gardes-du-corps de sa majesté ne s’en mêlent à la fin d’un peu près. Il semble aujourd’hui qu’on aille en venir là. Le congrès démocratique qui s’était assemblé, le 26 octobre, pour combattre à Berlin les réactionnaires de Francfort, ce congrès, dont M. Rugie était l’ame, ne pouvait se séparer sans dire au gouvernement berlinois un adieu de sa façon ; l’adieu a été l’émeute du 31 octobre, où une multitude égarée a failli renouveler, au nom des Viennois en péril, les scènes qu’on nous a jouées le 15 mai en l’honneur de la Pologne. Le roi, par un soubresaut propre à son caractère, s’est jeté définitivement dans l’extrême ; il a chargé le comte de Brandebourg, son oncle, de former un cabinet, dont le chef, ainsi désigné, expliquerait clairement la tendance.

Le vieux général, fils de Frédéric-Guillaume II, n’est pas pour penser en rien autrement que son royal maître et neveu. Aussi n’a-t-il pu trouver pour collègues que des employés supérieurs des ministères, des hommes de bureau et non point des hommes politiques : M. de Ladenberg, le bras droit de M. Eichhorn ; M. de Manteufel, un des piliers de l’administration de M. de Bodelschwing, toutes les doublures du cabinet de 1847. Avec un cabinet aussi faible, il n’y avait plus qu’une ressource vis-à-vis d’un parlement hostile appuyé sur une population turbulente, c’était de transporter l’assemblée dans un lieu où elle fût à la fois moins maîtresse du prince et moins esclave du peuple. « Elle ne veut point de Brandebourg, elle ira donc à Brandebourg. » C’est avec ce jeu de mots que Frédéric-Guillaume, toujours le même au milieu des révolutions, aurait signé, dit-on, l’acte qui transfère la diète dans la vieille et fidèle petite ville. La diète obéira-t-elle, et Berlin recommencera-t-il là-dessus la guerre de mars ? Le coup d’état du roi est bien hardi ; mais on doit être bien las des coups d’état de la populace. La crise est flagrante. L’assemblée sort de son enceinte sous la protection de la garde nationale, et les troupes entrent de partout dans la ville. Les troupes resteront-elles au roi ? toute la question est là. Nous attendons de graves événemens.

À travers tout ce tumulte, on ne saurait se dissimuler combien grandit en Allemagne la puissance de Francfort. La diète nationale est devenue, par la force des choses, ce qu’était la diète des princes, un énergique instrument de répression. C’est le besoin de cette répression qui fait maintenant le sens et la