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dynastiques. On a pris un Bonaparte comme on était censé devoir prendre la république, par instinct et par élan. Il semble qu’on veuille se dédommager de l’enthousiasme que les vainqueurs de février exigeaient pour leur chef-d’œuvre, en s’enthousiasmant pour un nom dont tout le mérite est la négation de février. Février nous a valu le suffrage universel : le suffrage universel répond à ses auteurs par un grand coup porté contre leur édifice. Le sentiment monarchique, aux prises avec les institutions nouvelles, s’empare de leur mécanisme pour revendiquer une satisfaction ; c’est le mouvement spontané des masses qui jette un neveu d’empereur au sommet d’une république.

Ce mouvement était-il invincible et fallait-il le détourner, même au risque de l’amoindrir, quand il aboutissait à l’invention d’une candidature aussi étrange et, sous tous les rapports, aussi peu raisonnable ? La question regardait naturellement ce grand parti modéré, qui ne saurait renoncer à ses souvenirs tant que la république ne sera pas devenue sienne. La question ainsi posée, beaucoup dans ce parti, et des plus illustres, beaucoup ont cru qu’il ne leur appartenait point de se placer entre la république et la Providence, qui paraissait la châtier ; ils ont été plus loin, ils ont pris ouvertement parti pour la Providence, sans s’effrayer de ce qu’elle se présentât ici sous le masque de M. Louis Napoléon. Nous, et beaucoup encore dont le nombre ira peut-être bientôt en croissant, nous ne sommes pas aussi braves, et, puisque la Providence a le caprice de se déguiser si bien, nous voulons qu’elle nous pousse assez fort pour nous obliger à la reconnaître sans que nous ayons à lutter contre d’insurmontables scrupules. Lorsque les voies par où elle passe sont si extraordinaires, qu’on puisse douter qu’elle les suive, elle ne peut pas nous condamner à les préparer. Nous avons dit toute notre opinion, il y a quinze jours : cette opinion n’a point changé. Nous avons le regret de penser là-dessus autrement que des personnes dont nous respectons profondément la parole ; mais il nous est impossible d’accepter un mot d’ordre qui n’a point d’écho dans notre conscience.

Bien d’autres avec nous s’alarment de cet inconnu sans fond où l’on ne craint point de se lancer à la suite de la multitude. Le prince Louis, c’est l’inconnu, et ses auxiliaires s’en vantent, nous parlons des sages, de ceux qui ne l’appellent point ou l’avenir, ou l’histoire, ou l’envoyé de Dieu. — On connaît trop le reste ; nommons celui-là, puisqu’on ne le connaît pas. — Ce raisonnement n’a qu’un malheur, c’est qu’il est à double tranchant. Nous visitions ces jours-ci un club démocratique et social, où, par-devant le commissaire de police, on s’engageait à loger une balle dans la cervelle de celui qui voudrait restaurer la royauté ; à celui-là on ne donnait que trois jours de répit. C’était à propos des candidatures. Quant au général Cavaignac, on le connaissait assez pour ne pas plus le discuter qu’on ne discutait ou Thiers ou Bugeaud ; mais le prince Louis, au dire de ces messieurs, méritait plus d’honneur, vu qu’on ne le connaissait pas, et qu’il se pouvait bien qu’il fût socialiste, puisqu’il avait un secret pour l’extinction du paupérisme. Le secret se trouve, en effet, tout au long dans un petit in-32, qui n’est plus aujourd’hui annoncé sur les affiches électorales du libraire, de M. Louis Bonaparte, mais qui n’en avait pas moins, au mois de septembre, atteint sa quatrième édition. Le secret consiste à racheter aux frais de l’état le quart de la France agricole pour en faire le domaine commun d’une association de 25 millions de prolétaires. Il n’y a plus que ce moyen, selon l’auteur, d’é-