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vains de l’arrière-ban d’expliquer au pays qu’elle était à elle seule l’alpha et l’oméga, la loi et les prophètes, la république incarnée ; le pays les a pris au mot, tant ils s’acquittaient bien de leur tâche ; le pays n’a pas douté de l’incarnation, mais l’établissement ainsi personnifié lui a semblé de si mauvaise mine, qu’il a douté de l’établissement. Quels griefs n’aurions-nous pas contre le National et tous les siens, si nous étions de plus grands républicains que nous ne sommes !

Nous ne sommes pas très anciens dans l’amour de la république, mais nous sommes vieux dans l’amour de notre patrie, et quant à nous, c’est à ce titre-là que nous demandons compte aux pédagogues du National de toutes les chances désastreuses amassées sur l’horizon par leurs velléités de dictature. « Nous voulons une gouverne, crie-t-on dans les campagnes ; la république n’a pas encore son roi, nous allons lui en apporter un, » et l’on revient ainsi à l’idée monarchique par une route vis-à-vis de laquelle nous ne pouvons cacher ni nos appréhensions ni nos déplaisirs. Est-ce donc que la France ait absolument besoin de risquer tout pour se venger du « coup de balai de février, » comme parle M. Proudhon ? ou bien est-ce donc qu’elle ait une peur désordonnée de ces folies qui ne cessent de gronder en bas ? De tout cela, sans doute, il y a beaucoup dans cet entraînement ou plutôt dans cet écart qu’elle subit au moins autant qu’elle s’y livre ; mais, rancune ou frayeur à part, il y a quelque chose aussi qui la pousse à l’extrême, c’est l’ennui du National. L’ennui, le dégoût, vous gagnent à entendre ces hommes, que l’expérience aurait dû si cruellement désabuser, se vanter encore maintenant de vous avoir affranchis et sauvés. On est excédé de leur optimisme ; on ne leur pardonne pas de se croire si forts quand on les sent si faibles, et la fatuité de leur politique vous irrite assez pour ne leur épargner aucune leçon. Nous rendons cette justice au général Cavaignac, qu’il s’est efforcé de bonne foi de remettre à sa place ce cénacle de médiocrités ; mais il en a gardé dans ses alentours je ne sais quelle ombre malfaisante qui plane sur sa tête et obscurcit sa conduite. Il ne s’est point encore assez nettement séparé de cette petite faction, qui, à moitié bourgeoise, voudrait paraître à moitié socialiste pour avoir une raison d’être et s’appliquer une physionomie. Un jour il accepte M. Dufaure, le lendemain il retourne jusqu’à M. Recurt. La circulaire qu’il publiait hier est pleine de nobles sentimens et d’intentions excellentes ; par malheur, il est impossible d’y reconnaître si la république date pour lui du 4 mai ou du 24 février. La république du pays n’est née que le 4 mai ; le président de cette république-là n’a pas le droit de remonter plus haut, sous prétexte de chercher une meilleure origine. Lorsque le général Cavaignac aura dit plus explicitement qu’il se contente lui-même de l’origine à laquelle l’immense majorité veut s’en tenir, il aura beaucoup relevé sa candidature. Le bon moyen de la perdre, ce serait d’admettre encore une légitimité républicaine fondée sur l’acclamation du pays, en dehors de son adhésion régulière et légale. C’était ainsi que le roi Louis XVIII déclarait qu’il était rappelé par l’amour de ses peuples. L’amour et l’acclamation des peuples, voilà l’éternel argument dont on se prévaut quand on a l’ambition d’octroyer une charte, au lieu de la consentir. Le tort du National, c’est de prétendre octroyer quoi que ce soit à la France, n’étant que ce qu’il est.

Voyez combien ce tort est funeste et comme nous payons cher cette fantaisie présomptueuse. En haine du culte qu’on tâchait de lui imposer pour une légitimité républicaine, la nation se rejette vers la plus désespérée de ses légitimités