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un peu négligée en ce pays, n’a obtenu l’attention de M. Stirling que chez les maîtres des XVIe et XVIIe siècles, et quant à l’architecture, il ne s’en est pour ainsi dire point occupé. Ne regrettons pas cette lacune. On ne parle bien que de ce qu’on aime. Ne demandez pas à M. Stirling ce qu’il pense des cathédrales de Léon, de Séville, de Burgos ; il ne les a pas regardées. Pour lui, l’architecture espagnole n’existe qu’alors que d’autres critiques cesseraient de lui trouver un caractère national. Il réserve toute son admiration pour les lourdes constructions d’Herrera, et, pour elles, il épuise le vocabulaire si riche des louanges et des exagérations castillanes. L’Escurial est, à ses yeux, le plus beau monument de l’Espagne. Sans doute on ne voit pas tant de pierres entassées sans un peu d’étonnement. Personne n’a pu se promener dans ces vastes cloîtres sans en conserver un profond souvenir ; mais est-ce bien cet immense gril de pierre qui laisse une impression si vive ? Chassez-en l’ombre de Philippe II, que restera-t-il à l’Escurial ? Une vaste baraque de granite, bizarre de plan, maladroite d’exécution, sans caractère et sans style. C’est Herrera, vous diront tous les guides, qui fatigua la terre de cet énorme poids. Non ; le véritable architecte de l’Escurial fut Philippe II. Le maçon qu’il employa ne comprit rien à son plan. Philippe le voulait grand, Herrera le fit vaste.

Laissons l’architecture, et suivons M. Stirling dans une étude qu’il a plus approfondie et qui paraît avoir ses principales affections. En matière de peinture, ses jugemens ont une valeur réelle, et devant les tableaux de Velasquez et de Murillo, nous retrouvons un véritable amateur, non plus, comme à l’Escurial, un homme de lettres consultant ses livres pour s’enthousiasmer.

La peinture n’est point née spontanément en Espagne. Elle y fut importée de l’Italie ; mais, de bonne heure, les artistes espagnols ont formé une école à laquelle on ne peut contester son originalité. On ne doit pas y chercher cette noblesse, ni surtout cette recherche du beau qui caractérise les écoles romaine et florentine. Les maîtres espagnols n’ont point tendu à un but si élevé. S’attachant à l’imitation de la nature qu’ils avaient sous les yeux, ils ont été forts, énergiques et brillans comme elle. S’il faut leur reprocher parfois la trivialité et l’indifférence dans le choix de leurs modèles, on doit louer dans leurs ouvrages la vérité, l’expression, la verve et la vigueur du coloris. Dans son introduction, M. Stirling, exposant les caractères généraux de l’école espagnole, ne se contente pas d’apprécier ses qualités et ses défauts, il en recherche les causes, et les trouve avec raison dans les mœurs et les habitudes nationales. Le despotisme du clergé, l’étiquette des cours, les scrupules religieux de tout le peuple, tels sont les obstacles que la peinture a rencontrés en Espagne dès son début et contre lesquels elle a toujours eu à se débattre. Pour les dévots des XVIe et XVIIe siècles, la représentation d’une figure nue aurait paru un sacrilège. Du temps de Murillo, il était si difficile de trouver dans les académies un modèle, qu’il était d’usage que tour à tour les élèves missent habit bas et posassent pour leurs camarades. Aujourd’hui même, à Madrid, les peintres se plaignent des scrupules exagérés des Manolas, et, au milieu d’une population dont la chasteté ne passe pas pour un trait distinctif, il y a peu de filles assez dépourvues de préjugés pour consentir à se laisser peindre dans un costume mythologique. C’était bien pis au XVIIe siècle. Un gentilhomme de cette époque eût passé pour fou s’il s’était