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nommer. » Il y a long-temps que ces mots-là se répètent dans les cafés de province.

L’auteur a décrit un salon que tout le monde croira reconnaître, et dont tout le monde blâmera hautement la description. Mme de Ferrières, si nous avons bien deviné, ne compte que des amis dans la foule très variée de ceux qu’elle invite. M. Hamilton Murray paraît avoir été du nombre, et l’on eût pu désirer qu’il se montrât moins sévère pour tant d’aménité, de bonne grace et d’esprit. Parce que M. de Balzac est gros, parce que M. Alexandre Dumas est grand, parce que Frédéric Soulié avait l’air juif, ce n’est pas une raison suffisante pour déverser le ridicule sur une des plus agréables réunions de ces temps heureux où les renommées de tout genre se sentaient groupées ; en disant qu’il se trouvait là « beaucoup de monde et peu de société, » je crains fort que l’auteur n’ait commis une petite ingratitude, et peut-être envers lui-même.

Je ne saurais comprendre non plus par quelle routine de copie il a cru devoir adopter cette mode, déjà vieillie, d’intercalation de mots français dans son texte. Cela peut s’entendre, à toute force, lorsque les personnages sont anglais ; mais, pour des Parisiens que l’on met en scène et dont la conversation se fait dans la langue du livre, cette bigarrure n’a aucun sens. J’ajoute qu’elle a déjà, pour les lecteurs de Londres, un cachet de vulgarité, tant l’abus s’en est reproduit dans les basses régions littéraires.

Pourquoi aussi tant de vieilleries ressassées à propos des idées nobiliaires ? Il y a toute une dissertation sur la famille de Séricourt, qui exhale un parfum de feuilleton du Siècle. « Ce sont de mauvais Séricourt, des Séricourt de rien du tout. Le grand-père était un ami de la Pompadour… La première Séricourt de contrebande épousa un gentillâtre des environs de Lille, et obtint la permission de garder le nom. C’est ainsi qu’ils sont Séricourt. Vous voyez que j’ai raison de douter que Mme de Séricourt puisse passer même pour une femme de condition. » On avait discuté d’abord sur la question de savoir si elle était une femme de qualité. Je ne sais pourquoi M. Hamilton Murray n’a pas coiffé ces dames de 1847 en perruques poudrées. C’eût été tout aussi vrai.

Les Anglais, qui paraissent lire ce roman avec un avide intérêt, nous porteront parfois quelque envie. Les hommes de quarante ans surtout, traités avec rudesse par l’auteur, soupireront sans doute en pensant que, s’ils étaient nés ici, leur sort serait moins pitoyable. « C’est, en France, la pire et la plus dangereuse partie de l’espèce masculine. Ils y forment une bande à part, dont la condition particulière est de devenir les premiers amans des jeunes femmes mariées. » Tout le pays est ainsi classé par statistique exacte de nuances et de régions diverses. Il semble qu’au milieu de son conte domestique, l’auteur ait voulu, par accès, faire entrer l’histoire générale des idées, des mœurs et des tendances de notre époque troublée. Le récit disparaît tout à coup sous une bouffée philosophique, et nous passons de l’analyse des sentimens à l’analyse des partis, du cœur de Mildred Vernon à la pensée de M. Guizot. Et ce n’est pas assez encore. Nous rencontrons jusqu’à Fouquet, retrouvé là comme le premier père de la caste bourgeoise, comme le patriarche du tiers-état. C’est dans le cours de cette étrange palingénésie que l’auteur a inventé le mot parvenuisme, qui ne serait pas trop mauvais, s’il n’était si dur. Fouquet ne meurt pas dans son vieux donjon de Pignerol. Il en sort libre et reparaît à toutes les dates : il s’appelle