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les eût montés mieux ; nul ne donnait de plus beaux soupers, n’avait eu de plus grands succès, et il passait pour le plus beau joueur du monde. C’était plus qu’il n’en fallait pour rendre célèbre toute femme qu’il eût admirée, et, avant la fin de la valse, il n’était pas un homme de quelque importance qui ne désirât être présenté à lady Vernon. » Il faut se rappeler où l’auteur vous a fait entrer pour ne pas croire qu’on est en tout autre compagnie.

Mais sir Édouard, de son côté, peut, à bon droit, se faire une illusion complète. Il a trouvé là une personne qui le ramène à pied sur le pont Royal, vers les quatre heures du matin, qui danse le galop sur le trottoir, qui jette par-dessus le parapet un mouchoir de 1,500 francs, qui aperçoit un cabriolet de place et crie de loin : Cocher de mon coeur ! et qui allume un cigare en route. Le cocher, qui est un observateur, ne manque pas de dire à sir Édouard : Mylord, m’est avis que c’en est une véritable de ce qu’ils appellent une lionne dans la haute ! Ces mots sont écrits en français ; je ne voudrais pas être responsable de la traduction.

Telle est l’origine d’une passion profonde qui va briser un bonheur récent, basé sur les sentimens sérieux que la famille anglaise comporte. Sir Édouard est conquis, subjugué par les graces nouvelles dont vous venez de voir le tableau, et, si j’en crois l’auteur, cet entraînement ne tient pas au caractère de l’homme, mais à sa nationalité. Ce n’est pas parce qu’il est faible, parce que le goût du grossier est en lui, que sir Édouard jette ainsi son cœur à cette aventure : c’est uniquement parce qu’il est Anglais. Lisez plutôt : « Un Français ne se laisserait pas prendre à toutes ces chatteries ; il en sait le commencement et la fin, ce qu’elles signifient et où elles conduisent, et un mot seul le garantit : connu !… Mais un novice Anglais n’a pas ce préservatif ; sa timidité même ne lui sert de rien, car les femmes auxquelles il a affaire sont assez hardies pour y suppléer, et il n’est généralement plus temps pour lui de réclamer, lorsqu’il peut songer à organiser une résistance. » Voilà les Anglaises bien averties, lorsqu’il s’agira d’un voyage sur le continent. Sir Édouard, en effet, se lance dans toutes les excentricités ; il arrive enfin à ce premier terme de la rupture conjugale, dépeint avec un vrai talent par l’auteur. La scène où le mari annonce à sa femme qu’il va dîner en partie de campagne avec la baronne de Cévèzes a quelque chose de simple et de touchant qui ne sent pas la copie. Elle se termine par un mot profondément vrai, que l’expérience seule peut dicter : « C’était, avait-elle dit, la première fois depuis leur mariage ! et, croyez-moi, ces choses qui arrivent pour la première fois sont souvent plus pénibles que celles qui arrivent pour la dernière ! » On comprend qu’en l’absence du mari l’aimable duc de Montévreux se présente, avec ce bonheur de hasard qui ne le quitte pas un seul moment pendant toute la durée de l’histoire. On comprend aussi que l’occasion est favorable, et que, dans un cœur délaissé, la grace et le dévouement trouvent bientôt leur place. Ainsi arrive-t-il pour Gaston ; la belle Mildred, si forte dans la vertu, ne l’est déjà plus dans l’attrait, et ses pensées, sinon son ame, n’auront désormais qu’une direction unique. Le développement de cette passion, aussi vive que chaste, toujours croissante et toujours réfrénée, est le seul point par lequel l’auteur se soit conformé à l’invariable usage des romans nationaux. Jamais ils ne montrent l’amour en dehors du célibat ; les héroïnes sont toujours de jeunes filles, et le mariage est toujours le but. Ici, tout à l’inverse. A part Mildred, dont le