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Louis XVI, il faut ajouter que les personnes qui habitent ces lieux, tout en ayant l’incontestable privilège des bonnes manières et des nobles traditions, se sont exclues de tout partage dans les réalités de la vie. Étrangers à la marche universelle de l’esprit humain et aux transformations politiques de leur patrie, indifférens aux événemens qu’ils sentent, par instinct, devoir passer inoffensifs sur un gouvernement qu’ils détestent, gardant, par vanité plus encore que par un autre sentiment, le culte superstitieux d’institutions qu’ils savent irrévocablement détruites, les gentilshommes français, dans leurs hôtels et dans leurs châteaux, vivent à part du monde positif, dans un monde imaginaire peuplé de leurs illusions. Muets au milieu de l’universelle clameur, ou réservant leur voix pour un bon mot, immobiles au milieu de l’universelle activité, dédaigneux des connaissances que le monde entier s’empresse de conquérir, jetant leurs regards en arrière lorsque les yeux du monde sont dirigés en avant, niant l’existence de toute chose, excepté d’eux-mêmes et de leur foi, ils restent, politiquement parlant, un monument de gloire pour le passé, et d’inutilité pour le présent. Dans un sens moral, ils ont une valeur très réelle ; sans eux, l’on chercherait en vain, d’un bout de la France à l’autre, les manières, les habitudes, les sentimens distingués. »

La traduction de ces lignes est si facilement française, qu’elles n’ont pas pu être pensées en anglais. Elles résument des conversations habituelles qui ont dû se faire à Paris, et dont l’idiome seul s’est changé à Londres.

C’est dans le salon aristocratique de la duchesse de Montévreux que lady Mildred retrouve Gaston, l’homme gracieux et pur qui doit changer sa destinée. C’est là aussi que sir Édouard s’échauffe aux récits méprisans qu’il y entend sur Mme de Cévèzes. Plus on accable cette femme, plus on la rejette dans la proscription des mœurs, plus ses sens irrités lui donnent l’impérieux désir de la revoir. Le vieux dogme d’Oromase et d’Arihmane se renouvelle pour ce jeune couple anglais ; chacun suit sa pente, la femme vers le bonheur, l’homme vers le plaisir. Dans cette scène, où l’esprit domine, il est pénible de trouver des taches de détail. Jamais, en pareil lieu, une femme, si rieuse qu’elle soit, n’a dit, en permettant à un homme marié de la rencontrer au manége : « J’irai, si madame n’est pas jalouse. »

La belle Mildred avait réussi dans le monde ; on la citait, on se la montrait, et les invitations lui arrivaient de toutes parts. Elle en reçut une pour l’ambassade… d’Autriche (je veux supposer que c’est celle-là). La description de ce bal tient une place remarquable dans le livre, et je doute que M, le comte Appony en soit flatté ; lord Cowley ne le serait pas davantage, si c’était de son salon qu’on eût voulu parler. Mme la baronne de Cévèzes s’y conduit à peu près comme on le pourrait admettre au jardin Mabille, et l’on va voir comment elle en sort. Quant à lady Vernon, qui a beaucoup rougi sous le feu des anecdotes dont ses voisins l’accablent, dans une très caustique revue des célébrités qui circulent, elle se trouve contrainte à valser avec le jeune duc, dont la conduite démentira plus tard le signalement ; car voici de quelle étrange manière il est dépeint : « Gaston de Montévreux était un lion du premier ordre. Il était trop parfaitement beau pour n’être pas adoré par les femmes, et trop connu par ses qualités natives de grand seigneur pour n’être pas en vogue auprès des hommes. En outre, il était énormément riche. Nul n’avait de meilleurs chevaux, ni ne