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jusqu’à quel point les architectes romains avaient porté la science de la construction. Il y a dans ces ruines une majesté, une force qui semble défier le temps. Et l’histoire nous apprend, en effet, que la main des hommes, bien plus que la main du temps, a ébréché les murailles du Colisée.

Ainsi donc, les trois arts du dessin, peinture, statuaire, architecture, trouvent à Rome des leçons sans nombre, des conseils variés à l’infini, des inspirations généreuses, des remontrances austères, et pourtant je n’hésite pas à demander qu’on supprime l’académie de France à Rome. Si je crois, en effet, à l’utilité d’un voyage en Italie, je ne crois pas que l’académie réponde à sa destination.

Les pensionnaires de l’académie forment à Rome une petite église et se mêlent rarement à la société des étrangers ; ils vivent entre eux et s’encouragent mutuellement, à leur insu, à persévérer dans la voie qu’ils ont choisie. Préjugés, idées étroites, principes exclusifs puisés à l’école de Paris, ils n’oublient rien. Ils respirent l’air de Rome, et c’est à peine si, au bout de deux ans, ils jugent avec clairvoyance, avec impartialité les œuvres les plus admirables, les créations les plus complètes de l’art moderne. Un mot suffit pour caractériser les idées singulières que les pensionnaires apportent en Italie et qu’ils n’ont pas toujours abandonnées quand ils reviennent en France. Il y a quelques années, je me trouvais à Rome au Vatican : je vis arriver un jeune lauréat qui, pour la première fois, contemplait l’École d’Athènes. J’étais curieux, je l’avoue, d’étudier l’impression que produirait sur lui cette composition. Ma curiosité fut bientôt satisfaite, car le jeune lauréat n’essaya pas de cacher son étonnement en présence d’une peinture si nouvelle pour lui, si peu d’accord avec tout ce qu’il avait vu jusque-là : il était dépaysé. « Si c’est là Raphaël, dit-il naïvement, il faut le temps de s’y faire. » Je ne sais pas si, avec l’aide du temps, le pensionnaire dont j’ai recueilli l’aveu est arrivé à comprendre pleinement le génie de Raphaël, je ne sais pas si, à l’heure où je parle, il pense comme tous les hommes éclairés que l’École d’Athènes n’a jamais été surpassée ; mais il y a dans cette parole un accent de franchise et de vérité que je ne puis oublier. Qu’est-ce donc que l’enseignement de Paris, si les élèves couronnés, en présence de Raphaël, éprouvent plus d’étonnement que d’admiration ? La plupart des pensionnaires quittent Rome sans avoir modifié profondément les opinions qu’ils avaient puisées dans l’atelier de leur maître. L’isolement où ils vivent ne leur permet guère de se renouveler. Le bagage de préjugés qu’ils ont apporté, ils le remportent comme un trésor précieux dont ils ne doivent jamais se séparer. Comme les œuvres qu’ils envoient chaque année sont soumises au contrôle de leurs maîtres et louées ou blâmées publiquement, ils continuent à régler leurs études en Italie d’après les principes qui