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l’École. Ce qu’il leur faut, c’est une analyse bien faite de l’Iliade et de l’Odyssée, une riche moisson d’épisodes fidèlement traduits. Ils doivent connaître Homère comme les élèves de Saint-Cyr connaissent la théorie militaire, car il n’y a pas dans le domaine entier de la poésie une mine plus riche et que les arts du dessin puissent exploiter avec plus de profit. Ce n’est pas que je veuille, à l’exemple de l’Académie, circonscrire les études et les compositions des élèves dans le champ de l’antiquité : une telle pensée est loin de moi ; mais, lors même que l’imagination s’exerce librement et va choisir le thème d’un tableau ou d’un bas-relief dans un âge quelconque de l’histoire, le souvenir d’Homère garde toujours une action salutaire sur les œuvres mêmes dont il ne fournit pas le sujet. Je voudrais que le professeur de littérature générale, ne perdant jamais de vue le caractère de ses auditeurs, s’appliquât surtout à déposer dans leur mémoire le germe de compositions simples et grandes. Sa mission serait de leur présenter les tragédies d’Eschyle et de Sophocle dans leurs rapports avec les arts du dessin ; à mesure qu’il avancerait dans la lecture du Prométhée enchaîné ou de l’Œdipe roi, il insisterait sur la beauté des scènes qui peuvent trouver, dans le marbre ou la couleur, un fidèle interprète, et, sans proposer ces admirables scènes comme des sujets de tableau ou de bas-relief, il amènerait ses auditeurs à chercher leurs inspirations dans la lecture qui les aurait émus.

Cet enseignement, loin de détourner les élèves de l’objet spécial de leurs études, ôterait à ces études ce qu’elles ont parfois de trop matériel ; il exercerait leur intelligence en même temps que leur main, et donnerait à leurs pensées une élévation qui leur manque trop souvent. D’ailleurs, il devrait se borner à l’analyse des œuvres du premier ordre. Après l’Iliade viendraient la Divine Comédie, le Paradis perdu. Dans le commerce familier d’Homère, d’Alighieri et de Milton, l’ame se fortifie, et, vivant dans les régions habitées par ces beaux génies, l’imagination prend à son insu une grandeur, une sérénité qui se réfléchit dans toutes ses œuvres.

Quant aux concours annuels de l’École de Paris, quelques mots suffiront pour expliquer ma pensée. Comme principe d’émulation, je les trouve excellens ; mais je voudrais voir changer le mode de jugement et la nature des récompenses accordées aux lauréats. Les concours annuels de l’école sont jugés par l’Académie des Beaux-Arts. Or, la plupart des professeurs de l’École appartiennent à l’Académie. Les œuvres des élèves sont donc, en réalité, jugées par les professeurs. Ce mode de jugement me paraît offrir de graves inconvéniens. À moins d’admettre, en effet, que les professeurs, qui sont des hommes, passent à l’état de demi-dieux dès qu’ils se réunissent en académie, et oublient, comme par enchantement, toutes les faiblesses humaines, on doit