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par le professeur qui lui succède. Qu’arrive-t-il ? que doit-il arriver ? Les élèves, obligés de subir ces enseignemens contradictoires, hésitent sur le choix de la route qu’ils ont à suivre ; comme les conseils qu’ils reçoivent ne s’accordent pas entre eux, il leur est bien difficile de les mettre à profit. S’ils acceptent comme vraies toutes les paroles qu’ils entendent, ils sont fort embarrassés pour les concilier ensemble ; si leur intelligence n’est pas assez éclairée pour les estimer à leur juste valeur, ils s’égarent, se troublent et n’avancent pas. Je sais qu’il a plu à quelques esprits singuliers de vanter cette diversité d’enseignement comme un bouclier contre la routine. Cet argument, je l’avoue, ne me paraît pas sérieux. Il faut sans doute combattre la routine et la prévenir par tous les moyens imaginables ; mais il n’est pas moins nécessaire d’inspirer aux élèves une pleine confiance dans les leçons qu’ils reçoivent, et l’enseignement, tel qu’il est organisé maintenant à l’école de Paris, rend la confiance bien difficile. Si le professeur du mois de février corrige les erreurs qu’a pu commettre le professeur du mois de janvier, et si ses propres erreurs sont à leur tour corrigées par le professeur qui lui succède le mois suivant, le résultat le plus clair de toutes ces leçons, qui se modifient mutuellement, me paraît être l’anéantissement de toute autorité. Or, sans autorité, sans confiance, il n’y a pas d’enseignement vraiment profitable. Je pense donc que les élèves devraient avoir la liberté de choisir parmi les douze professeurs celui qui s’accorderait le mieux avec leur goût, avec l’instinct de leur talent. Il faudrait à la vérité obliger les professeurs à donner leurs leçons non pendant un mois, mais pendant toute l’année, et peut-être cette obligation semblerait-elle bien dure à quelques-uns d’entre eux. Cependant elle est toute naturelle et se trouve d’ailleurs dans le règlement de l’école, au moins implicitement ; car le règlement, en parlant des douze professeurs de dessin, ne dit nulle part qu’ils se partageront l’enseignement, comme ils le font aujourd’hui. Il ne dit nulle part qu’ils auront le droit de rester pendant onze mois étrangers aux travaux des élèves. Pour que les élèves fassent des progrès rapides, pour qu’ils ne soient pas exposés à oublier dans un mois ce qu’ils apprennent aujourd’hui, il est nécessaire qu’ils aient foi dans la parole du maître. Or, je soutiens qu’ils ne peuvent avoir foi dans un maître qui chaque mois est remplacé par un maître nouveau. Quelle que soit leur déférence pour celui qu’ils écoutent, ils ne peuvent effacer de leur mémoire celui qu’ils ont entendu la veille, et cette comparaison affaiblit nécessairement l’autorité de la leçon. Et ce que je dis ne s’applique pas seulement à l’imitation du modèle vivant. L’imitation de l’antique est soumise aux mêmes chances de contradiction. Lors même qu’il s’agit de copier un fragment de sculpture grecque ou romaine, chaque professeur l’interprète à sa manière, selon ses prédilections, selon la