Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 24.djvu/612

Cette page a été validée par deux contributeurs.

une influence fâcheuse sur l’avenir des artistes dont l’éducation se fait à l’école de Paris. Les connaissances élémentaires dont je parle leur permettraient, en effet, de développer leur intelligence par la lecture, par la réflexion ; privés de ce secours précieux, ils réduisent leur tâche à l’étude exclusive du dessin, et ne font jamais dans l’art qu’ils ont choisi tout ce qu’ils pourraient faire, s’ils étaient secondés par une instruction générale. À l’appui de cette affirmation, j’invoquerai le témoignage des peintres et des sculpteurs les plus habiles. Combien de fois ne leur est-il pas arrivé de regretter la direction donnée à leurs premières études ! combien de fois n’ont-ils pas senti que la connaissance complète de tous les moyens matériels dont l’art dispose est tout au plus la moitié de l’art ! Pour devenir ce qu’ils sont aujourd’hui, ils ont dû s’armer de courage et apprendre dans l’âge viril, à la sueur de leur front, ce que l’enfance apprend sans peine. Ils ont été forcés de faire eux-mêmes l’éducation de leur intelligence. C’est à cette condition seulement qu’ils ont pu comprendre nettement le but suprême de l’art et marcher d’un pas ferme vers l’accomplissement de leur pensée.

Je n’ignore pas que ces idées si simples, si évidentes, qui semblent échapper à toute démonstration, tant elles sont conformes au bon sens le plus vulgaire, rencontrent parmi les artistes mêmes une opposition vigoureuse. Quelques hommes doués d’une véritable habileté, dont le mérite ne saurait être mis en question, soutiennent avec acharnement que le dessin doit être la première étude des élèves qui se destinent à la peinture ou à la statuaire. À les entendre, il est toujours inutile, souvent même dangereux, d’occuper l’intelligence des élèves d’objets étrangers à la pratique matérielle de l’art. Le temps donné aux études générales est du temps perdu. Celui dont la main obéissante reproduit fidèlement la nature en sait toujours assez et n’a pas besoin de consulter les livres. À mon avis, les artistes qui se prononcent d’une façon absolue pour l’étude exclusive du dessin s’ignorent eux-mêmes et oublient la route qu’ils ont suivie. Justement fiers d’avoir touché le but, ils ne tiennent pas compte des tâtonnemens par lesquels ils ont dû passer, et proscrivent comme inutiles ou dangereuses les études mêmes qui, plus d’une fois, leur ont frayé la route. S’ils eussent borné leur tâche, comme ils le disent, à la pratique du dessin, ils ne seraient pas arrivés où ils sont maintenant. S’ils eussent négligé toutes les connaissances qui ne se rattachent pas directement à la peinture, à la statuaire, ils ne vaudraient pas ce qu’ils valent, ils n’auraient pas conçu, ils n’auraient pas réalisé les œuvres que nous admirons. Ils se calomnient en parlant de leur ignorance ; ils sont injustes pour eux-mêmes et n’ont jamais mesuré le développement réel de leurs facultés.

Oui sans doute, le dessin tient le premier rang dans la statuaire et la peinture ; oui sans doute, c’est sur l’étude du dessin que les élèves doi-