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esprits de votre trempe, vous ne méprisiez nullement la critique, et vous estimiez que la vérité a toujours son heure. Vous laissiez passer le présent, attendant l’avenir. Il faut bien le dire, quand même les courtisans de l’écho et les suivans de la crédulité générale se fâcheraient, le public s’est trompé, comme cela lui arrive souvent. Keats, poitrinaire, rêveur, passionné et pauvre, n’avait pas besoin d’un article de journal pour l’achever.

Contre ce talent nouveau, il y eut assurément des résistances violentes et des négations amères. Le novateur païen, l’ennemi du kirk fut sévèrement flagellé par les Écossais d’Édimbourg et de Glascow. La sensualité, le paganisme, l’obscurité, l’affectation archaïque, la complète absence du sentiment chrétien, la téméraire évocation d’une religion morte à jamais, irritèrent bien des ames et soulevèrent mille réclamations ; mais tout cela, c’était de la gloire, et si le Blackwood’s Magazine et la plupart des journaux anglais maltraitaient le fanatique des dieux hellènes et le rénovateur du langage suranné de Spenser, d’autres critiques prenaient sa défense. Jeffrey, l’un des arbitres suprêmes de la critique contemporaine, déclara, dans l’Edinburgh Review, que le don poétique appartenait à Keats au degré le plus incontestable, et qu’à moins d’être dénué de tout sens poétique, on devait admirer la puissante imagination qui avait fait revivre ce monde symbolique avec une réalité merveilleuse. Byron reçut dans sa villa italienne le numéro de l’Edinburgh Review qui contenait cet article, sa fureur fut inexprimable et effrénée. Il écrivit à Murray :


« Plus de Keats, s’il vous plaît. Écorchez-le-moi tout vif, ou je me chargerai, moi, de lui ôter la peau. Je ne peux supporter l’idiotisme et te rabâchage de ce petit singe. — Pourquoi souffrez-vous donc que l’on vante ce drôle qui s’appelle Keats ? Johnson, apprenant qu’un mauvais acteur venait de recevoir une pension, s’écria : « Il est temps qu’on m’ôte la mienne ! » J’étais fier des éloges comme des blâmes de messieurs les critiques d’Édimbourg. Maintenant qu’ils ont bien parlé de Keats, tous ceux qu’ils ont vantés sont déshonorés par leur article insensé. Pourquoi ne pas louer l’Almanach de Liège ? Cela vaut Jeannot Keats. »


Plus tard, et Keats une fois mort, Byron changera de langage. Ce ne sera plus « un idiot » ni « un rabâcheur, » mais un grand poète, un Eschyle, dont « l’Hypérion, ce magnifique monument, protégera la mémoire. » - Byron ira plus loin : « ce fragment d’inspiration titanique ne lui semblera « sublime comme Eschyle. » Pourquoi ce revirement violent et subit ? Pour atteindre deux buts à la fois, buts que lord Byron a toujours cherchés : se faire valoir et déprécier autrui. « Moi, dit-il encore à Murray, je n’ai pas fait comme Keats ; attaqué par un article sauvage de revue, ainsi que Kirke White et Keats, je n’en suis pas mort. J’ai bu trois bouteilles de vin de Bordeaux et j’ai commencé