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et l’aile d’un faisan. A propos de gibier, la dame que j’ai rencontrée m’a envoyé plusieurs présens de gibier, ce qui m’a mis à même d’en faire autant. Elle m’a fait emporter, l’autre jour, un faisan que j’ai donné à Mrs Dilke. Je destine le premier à votre mère.

« Je ne vous ai pas parlé de mes affaires. Je n’en désespère point. Mon poème n’a pas réussi du tout. Dans le courant de l’année, ou environ, j’essaierai de nouveau le public. Au point de vue de mon égoïsme, je laisserais mon orgueil et mon mépris de l’opinion publique m’imposer le silence ; mais, pour l’amour de vous et de Fanny, je recueillerai toute mon énergie et j’essaierai encore. Je ne doute pas du succès avec le temps, si je persévère ; mais il faut être patient ; les reviewers ont énervé les esprits et les ont rendus indolens : il est peu d’hommes qui pensent par eux-mêmes. Ces revues règnent, surtout le Quarterly. Elles deviennent une superstition ; à mesure qu’elles s’emparent de la foule, elles deviennent puissantes en proportion de la faiblesse générale qui s’accroît. Ces gens-là ressemblent aux spectateurs des combats de coqs de Westminster, ils aiment voir les coqs se battre ; peu leur importe le vainqueur. »


Quel critique, il y a six mois, n’eût pas subi l’accusation de paradoxe, s’il eût avancé sans preuve ce dont les bons esprits se sont toujours doutés, à savoir que John Keats n’est pas mort, comme on l’a prétendu, de la douleur causée par un article de revue ? Le recueil de ses lettres posthumes, excellent ouvrage qui sert de texte à notre étude, prouve jusqu’à l’évidence qu’il a essuyé avec calme et modestie le feu de la critique, et que les attaques auxquelles ses poésies païennes l’exposaient lui semblèrent plutôt d’utiles enseignemens que des injures. L’opinion universelle a été induite en erreur à cet égard par le spirituel et dangereux Byron, lequel était fort aise de persiffler un homme de génie mort jeune, et de rendre odieux les critiques dont il avait à se plaindre

Un article a tué Keats ; le pauvre garçon
Son talent fort obscur promettait quelque chose ;
Quoiqu’il sût peu de grec, il fit parler, dit-on,
Les dieux comme ils auraient, jadis, fait de la prose.
Mais ne trouvez-vous pas le fait original ?
Que l’esprit, oui, l’esprit, cette vive étincelle,
Se laisse éteindre ainsi, comme un bout de chandelle,
Par un mauvais pédant, griffonneur de journal[1] ?

Non, cela n’est pas vrai. Pauvre Keats ! le poète grand seigneur, fort intrigant et jaloux, a un moment égaré l’opinion sur votre compte. On sait aujourd’hui que votre vanité puérile n’a pas causé votre mort ; vous n’avez pas péri de désespoir sous trois pages de critique ; c’est un mensonge. Vous valiez mieux que cela : modeste devant le type idéal du beau et justement fier de votre force intime, comme il convient aux

  1. John Keats, who was kill’d off by one critique, etc.

    (Don Juan, canto XI.)