Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 24.djvu/590

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Des ames plus calmes et moins vaniteuses, le noble et religieux Wordsworth, l’observateur impartial Walter Scott, le puissant écrivain Southey, converti récemment aux dogmes du torysme, l’aimable Campbell, le fougueux Wilson, furent éclipsés par l’éclat de la révolte byronienne. Parmi les gens sévères, ce fut un scandale immense. Ils n’hésitèrent pas à signaler l’auteur de Don Juan comme l’anté-christ. À cette opinion dure et inexorable, à ces iniquités combinées de la nationalité, de la secte et de la coterie, quelques téméraires, encouragés par l’exemple de Byron, résistèrent vivement ; plus imprudens que le chef, ils n’avaient pas eu soin de se mettre à l’abri des vengeances de l’Institution qu’ils attaquaient. Un homme de beaucoup d’esprit, de verve, d’étourderie et de facilité, Leigh Hunt, auteur de Françoise de Rimini ; un admirable prosateur, le plus parfait peut-être de la génération anglaise actuelle, Walter Savage Landor, long-temps regardé comme un écrivain seulement bizarre et affecté ; Hazlitt père, qui l’un des premiers porta dans la critique la sagacité sympathique de l’artiste et le trait vif de l’homme du monde ; le grand poète panthéiste Shelley, enfin le vieux philosophe matérialiste Godwin, protestèrent diversement contre les rigueurs du torysme calviniste, et furent tous mis au ban de la société religieuse, honnête et civilisée. Landor et Shelley ne tardèrent pas à quitter l’Angleterre pour l’Italie. Landor, plein de dégoût, se réfugia dans une charmante villa bâtie sur le penchant de la colline de Fiesole. La fille de cet étrange philosophe Godwin, qui apparaît comme une silhouette posthume du XVIIIe siècle au milieu des hommes du XIXe, accompagna en Italie le jeune et triste Shelley. D’autres, plus retirés et plus humbles ; obtinrent leur pardon. L’humoriste Lamb, dont les secrètes douleurs viennent d’être révélées par la publication de ses lettres, veillait avec une sollicitude adorable sur Brigitte sa sœur, cette pauvre folle qui avait frappé sa mère d’un coup de couteau et l’avait tuée dans son délire. Lamb était si triste, si pauvre, si résigné et si doux, qu’on lui permettait d’avoir du génie.

Leigh Hunt, hardiment libéral et chef de l’Examiner, s’exposait bravement à tous les coups. C’était lui qui passait pour chef de ce groupe bien impuissant et bien faible des poètes libéraux, réunis par une épithète railleuse sous le nom de l’École des badauds (Cockney-School) ; pauvres gens, en effet, qui vivaient à Londres, ne pouvant guère admirer la nature dans les châteaux qu’ils n’avaient pas.

Les caractères spéciaux auxquels on prétendait reconnaître « l’école des badauds, » c’étaient l’affectation de l’archaïsme et de la sensibilité, et l’admiration exagérée ou prétentieuse des beautés de la nature. Assurément les mêmes reproches pouvaient être adressés à lord Byron ou aux poètes des lacs ; mais ces derniers, étrangers aux mouvemens politiques, habitaient de jolies maisons de campagne sur les collines enchantées