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sacré dont le travail est empreint dans la loi chrétienne, et qui lui permet de se passer de tout mobile étranger : caractère tellement puissant que, même né dans ces conditions où le travail n’est plus une nécessité, le chrétien, s’il est sincère, cherche encore à travailler. Il se reproche l’oisiveté comme un crime. Quand le travail est ainsi mis directement sous la protection de la conscience, il n’a pas besoin de l’aiguillon de l’intérêt. Le socialisme posséderait-il par hasard, comme l’Évangile, quelque dogme mystérieux qui donnât au travail la même force impérative ? Il n’en a pas seulement la prétention. Son seul but, au contraire, est de réduire pour chaque homme la quantité de travail nécessaire à la moindre mesure possible. On pourrait tout définir en disant que le christianisme c’est le travail, même sans la récompense, et le socialisme la récompense sans le travail.

Une fois en possession de ce mobile élevé du devoir, on conçoit déjà comment le christianisme a pu faire accomplir à l’homme, en dehors, aux dépens même de son intérêt personnel, des travaux qui nous confondent ; mais ce n’est point seulement au devoir, je l’avoue, que le christianisme s’adresse. Ses plus grandes œuvres sont dues à un sentiment d’un autre ordre, à l’amour des hommes les uns pour les autres, à ce que, par une expression à la fois profonde et populaire, on a nommé la charité. C’est la charité qui établit entre tous les chrétiens, riches ou pauvres, faibles ou forts, ce lien de fraternité qui étend à une société entière la tendresse d’une famille. Oui, sans doute, cette charité précieuse enfante chaque jour des résultats, elle alimente une activité, qui dépassent tous ceux que produit l’ardeur âpre et intéressée du gain. Avec cette charité, rien n’est impossible, ni la vie commune au fond d’un cloître, ni la communauté des biens et du travail, ni les enfans des riches allant vivre d’abstinence et travailler la terre, ni les femmes délicates se vêtissant de bure pour veiller au chevet des malades ; mais, puisque c’est cette charité qu’on veut emprunter au christianisme, qui jusqu’ici en a gardé le monopole, est-ce qu’il ne serait pas à propos de s’informer auprès de lui, qui doit s’y connaître, à quelles conditions cette incomparable vertu peut s’acquérir, sous quels cieux cette plante embaumée prend naissance ? Je ne voudrais pas lever ici un coin du voile qui doit toujours dérober aux regards des discussions humaines le sanctuaire intime du dogme religieux ; mais je ne crains pas d’être contredit en affirmant que, s’il y a une prétention au monde qui indique la plus grossière ignorance des premiers élémens du christianisme, c’est celle de faire de la charité fraternelle la vertu commune, ordinaire, quotidienne, pour ainsi dire, de tous les hommes. Demandez au christianisme si les hommes, en général, naissent charitables, dévoués, si l’esprit de sacrifice, si l’affection pour leurs semblables est une semence qui germe aisément dans leurs coeurs. Je m’en rapporte