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le socialisme en activité ou seulement la révolution en permanence, et je ne vous garantirai pas long-temps des invasions et des Cosaques !

Pressé ainsi de retraite en retraite, le socialisme se réfugie derrière la religion. Il invoque les grands principes évangéliques, les touchans souvenirs des premiers chrétiens. La société chrétienne, nous dit-il, n’est-elle pas fondée sur d’autres mobiles que ceux de l’intérêt et de la crainte, sur l’amour et la fraternité mutuelle des hommes ? N’a-t-elle pas tiré de ce mobile des prodiges qui ont renouvelé le monde ? Ne pouvons-nous pas encore nous adresser au même sentiment pour en attendre les mêmes résultats ? Ce langage pieux est fort de mode dans les écoles socialistes. Il ne tiendrait qu’à nous de les prendre pour la continuation fidèle du christianisme, et la société qu’elles rêvent pour l’expression complète de la société chrétienne. Elles mêlent dans leurs ovations bruyantes le nom du Christ à ceux de leurs précurseurs sanguinaires, le nom de la victime du Calvaire à ceux des assassins du Temple et de l’Abbaye. De tels mélanges soulèvent le cœur et font regretter la franche impiété révolutionnaire d’une autre époque. J’aime mieux, pour ma part, la croix renversée que portée avec un respect profanateur dans les processions du pillage et de la révolte. Contenons cependant l’indignation qu’un tel spectacle excite, et rappelons en deux mots au socialisme qu’il n’y a rien de commun entre les chrétiens et lui, que l’Évangile et le socialisme sont l’opposé l’un de l’autre, à tel point que si l’un est vrai, l’autre est faux, et que si le socialisme n’était pas la plus grossière des illusions, l’Évangile serait le plus impudent des mensonges.

Pour commencer, en effet, cette misère de la condition humaine sur laquelle nous ne saurions trop insister, le socialisme la dissimule à l’homme ; le christianisme la lui rappelle à tout instant sous ses couleurs les plus sévères. On dirait presque qu’il l’assombrit encore par ses dogmes, sauf à l’adoucir plus tard par ses espérances. Le christianisme ne cesse de lui représenter le travail, le travail constant et même douloureux, non-seulement comme nécessité, mais comme un devoir. Il va en ceci encore plus loin que la vieille société elle-même. Le travail, qui dans la société naturelle est seulement indispensable pour la vie, devient, dans la loi évangélique, obligatoire au point de vue de la conscience. Dans la vieille société, il est simplement un besoin ; aux yeux de l’Évangile, il est une loi. Cette loi s’explique, dans le dogme chrétien, par le passé comme par l’avenir de l’homme. C’est une expiation d’une faute commise, c’est la préparation d’un bonheur futur. L’homme, disions-nous tout à l’heure, remonte en quelque sorte un courant à force de rames : fait singulier que nous constations sans l’expliquer. Un chrétien ne s’en étonne pas. L’homme est tombé, vous dira-t-il ; quoi de surprenant qu’il ait besoin de remonter ! De là ce caractère