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chaleur de bienveillance qui contraste avec le ton morose de nos philanthropes du jour. J’ai peu de confiance aux bienfaiteurs du genre humain dont la bouche distille le fiel. Dans ces brillans tableaux que la plume de M. Thiers nous trace du bonheur d’une société active et florissante, quand il nous montre l’aisance du pauvre si heureusement solidaire de l’opulence du riche ; quand il nous décrit les mille jeux de la liberté humaine s’ébattant sous l’œil de Dieu et sous le frein de la conscience ; quand il recherche soigneusement tout ce qu’une main bienfaisante a versé de douceurs inconnues dans les plus humbles destinées, je retrouve là une plus profonde sympathie pour les souffrances de la pauvre humanité que dans ces écrits haineux, qui déchirent les lèvres de nos plaies pour y verser le venin plus à leur aise. Le livre de M. Thiers repose l’ame de nos journaux soi-disant démocratiques, comme, au sortir de l’atmosphère brûlante de notre capitale désolée, la vue se repose sur les vallées de la Normandie, où s’étalent, sous les rayons d’un soleil tempéré, tous les accidens d’une culture savante.

C’est pourtant de cet agrément du style, de ces heureux accessoires et de ces mouvemens de l’ame qui la relèvent, mais qui la cachent en même temps, que nous voulons essayer de dépouiller ici l’argumentation sévère de M. Thiers. Nous entreprenons de montrer par quelles fortes articulations sont jointes l’une à l’autre toutes ces pièces, dont chacune porte, dans son travail délicat, l’empreinte d’une main d’artiste. Donner à ces considérations entraînantes la précision d’une démonstration mathématique, qui exclut la contradiction par l’absurde ; remonter jusqu’à la source obscure peut-être, mais élevée, d’où la vérité s’écoule à flots si pressés, nous croyons que cela n’est ni impossible ni même inutile. La simple lecture de l’ouvrage de M. Thiers met à l’instant de son côté toutes les imaginations pures, tous les calculs honnêtes de l’intérêt bien entendu ; il n’est pas sans profit de montrer qu’il satisfait également toutes les exigences du raisonnement et de la conscience. Une telle tâche, abstraite par sa nature, aride dans ses détails, ne peut prétendre sans doute à beaucoup de popularité : elle s’adresse à ceux qui possèdent plus qu’à ceux qui attaquent la propriété. Est-ce un tort ? Nous ne le pensons pas. Hélas ! une foule égarée écoute peu des avis qu’elle croit intéressés. Conseillère moins suspecte et plus impérieuse, l’expérience, qui s’avance à grands pas, et dont nous essayons vainement de tempérer la rudesse, se charge de la détromper. Mais nous vivons dans un temps de mollesse et d’abandon, où il est bon de démontrer à tous les pouvoirs qu’ils ne sont pas des usurpateurs. Tous ont besoin qu’on leur rende ce fier sentiment de leur droit sans lequel ils ne sauraient ni en user avec noblesse, ni mourir pour le défendre. Douter de soi-même au jour du combat, c’est l’explication