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moi, je le ferais bien céder. Que je serais aise, s’il voulait se battre contre moi pour terminer la guerre tête à tête ! Il n’aurait garde de le faire ; de cette race, ils ne se battent jamais…

« … Il allait danser chez les particuliers, chez le duc de Lesdiguières, chez le chancelier, chez le maréchal de Villeroy, chez le maréchal de l’Hôpital, d’où il reconduisit une fois d’un si grand train Mlle de Luxembourg que les gardes ne purent suivre, et il disait à Mademoiselle : Que je serais aise que les voleurs nous attaquassent ! »

Plus tard, toute la vie journalière de Louis XIV, les fêtes, les chasses, les promenades, passent devant les yeux du lecteur pour ainsi dire heure par heure, avec une exactitude animée qui transporte au sein de cette existence brillante, de ces mœurs élégantes, de ces divertissemens magnifiques, auxquels concouraient Molière et Racine. Les amours du roi trouvent leur place dans cette histoire à côté des grands événemens du siècle, et toute cette partie du récit est traitée avec beaucoup de délicatesse. La situation singulière de Louis XIV entre Mme de Montespan, Mme de Fontanges et Mme de Maintenon forme un chapitre de roman psychologique très bien touché, beaucoup plus vrai et beaucoup plus fin que le roman prétendu historique de Mme de Genlis. Le grave auteur rencontre des expressions très gracieuses, telles que celles-ci « Cette nouvelle divinité ne brilla qu’un instant, comme une fugitive apparition du plaisir. Après avoir ébloui la cour de sa jeunesse et de sa beauté, elle disparut bientôt, et tomba comme une fleur promptement séchée. Cependant sa chevelure, détachée un jour par le vent dans une forêt, a éternisé son nom et est devenue comme un monument fragile et impérissable de son éclat passager. »

Mais l’historien ne s’arrête qu’un moment à ces aimables frivolités ; le sérieux domine dans son récit. On le retrouve tout entier dans l’explication des causes de la guerre de Hollande, où la profondeur des desseins ne saurait absoudre pour nous les menées tortueuses d’une diplomatie qui serait sans excuse, si elle n’eût été alors employée par tout le monde. Le système financier de Colbert est bien apprécié. Peut-être eût-il été juste d’y relever, comme l’a fait l’habile historien de ce grand ministre, M. Clément, l’excès du système de protection, système justifié cependant jusqu’à un certain point par la nécessité de fonder l’industrie française, mais sur lequel on se garda de revenir quand il ne fut plus nécessaire, et dont la tradition est beaucoup trop fidèlement suivie de nos jours. Les Mémoires de Louis XIV ont fourni à M. de Noailles le sujet d’une dissertation qui, je le dis sans rien exagérer, sera jugée par les amis de l’érudition comme un excellent morceau de critique littéraire. La conclusion est que ces Mémoires sont bien réellement de Louis XIV. Il appartenait à l’auteur, comme il le dit lui-même, plus qu’à un autre, de donner des éclaircissemens à ce sujet,