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À propos des dépenses de Louis XIV, elle écrivait au cardinal de Noailles : « Je n’ai pas plu dans une conversation sur les bâtimens, et ma douleur est d’avoir fâché sans fruit… Il n’y a qu’à prier et souffrir ; mais le peuple, que deviendra-t-il ? » Je laisse le lecteur sous l’impression de cette parole humaine, dont l’accent semble sincère.

Sans partager tout-à-fait l’opinion de son biographe, et sans réclamer contre elle, je m’associe pleinement à la conclusion du jugement qu’il porte sur Mme de Maintenon : « Sa véritable supériorité n’est pas dans la profondeur des vues et dans l’habileté de conduite par laquelle on croit qu’elle s’est élevée, mais dans cette constante possession d’elle-même, qui lui fit également porter toutes les fortunes sans être humiliée par son abaissement ni éblouie par sa grandeur. » Enfin, quant au point le plus délicat de la conduite de Mme de Maintenon, je me bornerai, avec son biographe, à rappeler en passant combien les attaques dirigées contre la sagesse d’une personne à qui la sagesse semble si naturelle ont peu d’autorité et de vraisemblance, et, à ce sujet, je citerai ces délicates paroles de son apologiste : « Il ne sied jamais de discuter la vertu des femmes. Les plus calomniées, quand elles ont le sentiment de la dignité de leur sexe, préfèrent sur ce point délicat le silence à la controverse, dût-il sortir de celle-ci des preuves en leur faveur. Les apologies les offensent, Mme de Maintenon m’interdirait certainement ici de répondre aux mensonges des libelles où l’on s’est plu à l’outrager. »

Ces dépenses en bâtimens qui affligeaient Mme de Maintenon ont fourni à son historien le sujet d’un curieux chapitre sur les sommes dépensées pour les fastueux travaux de Versailles. Il était conduit naturellement à traiter ce sujet, et le rencontrait pour ainsi dire sans sortir de chez lui. En effet, aux travaux de Versailles se rattachait ce magnifique aqueduc qui devait amener la rivière de l’Eure, et dont les arches majestueuses, encore debout, traversent le parc de Maintenon. Ce prodigieux travail, dirigé par Vauban, n’a pas été achevé. Des trois rangs d’arcades qui devaient s’élever l’un au-dessus de l’autre, le premier seul a été terminé. Ainsi réduit, l’aqueduc de Maintenon surpasse encore en hauteur les aqueducs romains[1]. Il semble, comme Racine l’écrivait à Boileau, bâti pour l’éternité. Je ne crois pas qu’un autre parc dans le monde ait une pareille décoration. M. de Noailles, qui, au sujet de cette œuvre gigantesque, entre dans de curieux détails, est conduit à s’occuper des dépenses de Versailles : il montre qu’elles ont été exagérées ; mais ce qui en reste, d’après son évaluation plus exacte, est encore assez considérable, car les 430 millions, dont M. de Noailles n’a pas donné l’équivalent d’après la valeur d’échange

  1. La hauteur du pont du Gard, qui a de même trois rangs d’arcades, est de 168 pieds ; celle de l’aqueduc de Maintenon, s’il eût été terminé, aurait atteint 216 pieds.