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l’expression. Ce qu’il dit des deux genres de burlesque est d’une appréciation littéraire très juste et très fine. « Il y a deux sortes de burlesque : celui qui transforme les choses bouffonnes en choses sérieuses et part d’une réalité basse ou vulgaire pour s’élever à la poésie, tel est le procédé de Boileau dans le Lutrin, et celui, au contraire, qui transforme les choses sérieuses en choses bouffonnes et part de la haute poésie pour la faire descendre à la vérité triviale. Le premier, meilleur de fond et de forme, provoque le sourire fin de l’esprit ; le second, d’un effet plus comique, fait rire plus franchement, mais lasse plus vite. » Nul critique de profession ne désavouerait ce jugement. Il est difficile aussi de mieux définir une des choses les plus indéfinissables, le charme de la conversation. « Ce fut là enfin (à l’hôtel Rambouillet) que naquit réellement la conversation, cet art charmant dont les règles ne peuvent se dire, qui s’apprend à la fois par la tradition et par un sentiment inné de l’exquis et de l’agréable, où la bienveillance, la simplicité, la politesse nuancée, l’étiquette même et la science des usages, la variété de tons et de sujets, le choc des idées différentes, les récits piquans et animés, une certaine façon de dire et de conter, les bons mots qui se répètent, la finesse, la grace, la malice, l’abandon, l’imprévu, se trouvent sans cesse mêlés et forment un des plaisirs les plus vifs que des esprits délicats puissent goûter. » En lisant ce morceau charmant, que bientôt peut-être personne ne comprendra plus, on sent que l’auteur connaît, par l’expérience et la pratique, ce dont il parle avec un sentiment si vrai, et on devinerait qu’il se plaît dans un de ces cercles choisis où l’art qu’il décrit si bien s’est réfugié avant de périr.

M. de Noailles a entrepris une tâche difficile, c’est de faire revenir le public d’une sorte d’éloignement instinctif pour Mme de Maintenon. On ne saurait nier que ce nom est peu populaire. D’abord, c’est un grand tort qu’une haute fortune. L’on n’aime point ceux qui réussissent. La suite et la tenue du caractère déplaisent à tous ceux qui manquent de ces qualités plus estimables que séduisantes : on se console d’en être privé par en médire. Quand on a gâté sa vie en cédant à ses passions ou à ses caprices, c’est un soulagement d’attaquer les existences bien conduites. Il faut convenir que Mme de Maintenon ne saurait intéresser comme Mme de La Vallière : elle est un personnage raisonnable et non un personnage passionné. Est-ce une raison pour la considérer comme le type de l’ambition, du calcul, de l’égoïsme, ainsi qu’on l’a fait souvent ? M. de Noailles s’élève contre ce jugement, que beaucoup portent avec légèreté. Peut-être ne parviendra-t-il pas à concilier la sympathie générale à la femme de Louis XIV, à celle qui dit quelque part ma sécheresse ; mais on reviendra, je pense, sur beaucoup d’exagérations hostiles à Mme de Maintenon, exagérations qu’on est accoutumé à répéter sur parole, comme c’est l’ordinaire, sans s’assurer des faits.