Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 24.djvu/544

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

souvent mal jugés, n’est-ce pas les faire connaître au lecteur ? Une époque brillante peut avoir besoin d’être éclairée par l’histoire, et il n’est pas mal parfois d’étudier un peu ce qu’on blâme ou ce qu’on admire.

Ce qui frappe d’abord dans ce livre, c’est une gravité sans raideur qui participe jusqu’à un certain point du caractère du XVIIe siècle. M. de Noailles a rapporté du commerce de ce grand siècle je ne sais quelle dignité simple de langage trop rare aujourd’hui. Aujourd’hui, beaucoup d’écrivains sont pétulans, familiers ; ils obsèdent et tourmentent le lecteur pour attirer son attention, le traitant un peu comme les ciceroni en Italie traitent les voyageurs qu’ils contraignent bon gré mal gré d’admirer à tout propos et hors de propos. Le duc de Noailles n’est point ainsi : il fait les honneurs de son sujet comme il ferait les honneurs du château, avec une politesse calme et mesurée, mettant chaque personnage à la place qui lui convient et gardant la sienne.

Qu’on ne s’imagine pas, d’après cela, qu’on va lire un ouvrage de grand seigneur, ce qui serait une pauvre recommandation aujourd’hui. Le temps est passé où il était du bel air de ne pas se donner la peine d’étudier son sujet et de soigner son style, pour ne point trop sentir le pédant et l’homme de lettres, et de montrer qu’on était gentilhomme en ne sachant pas écrire. Ici les recherches sont toujours consciencieuses ; l’application, cette qualité du grand siècle, se retrouve partout ; le style, qui ne vise point à l’effet et au brillant, est constamment naturel et soutenu, parfois il atteint une véritable élévation.

Ce qui me paraît le moins remarquable dans l’ouvrage, c’est le commencement. Les deux premières figures qu’on rencontre sont d’Aubigné et Scarron. Ni l’une ni l’autre n’étaient faites pour inspirer très heureusement l’auteur de l’Histoire de Mme de Maintenon. L’humeur de tous deux n’avait rien de commun avec la sienne. Ce fou de d’Aubigné, si aventureux, si brave, si spirituel, si fanatique, était, pour notre auteur, bien hâbleur et bien gascon ; Scarron était bien grotesque dans sa personne et dans ses écrits. M. de Noailles, qui se croit obligé de le peindre, aurait, je crois, dit de lui volontiers comme Louis XIV des paysans de Téniers : « Que fait ici ce magot ? » Peut-être eût-il dû l’ôter de sa galerie, ou du moins ne le montrer qu’en raccourci et renvoyer, pour Agrippa d’Aubigné, à cette amusante autobiographie qui, pour la verve et les vanteries, est digne d’être placée à côté de la vie de Benvenuto Cellini.

Dans l’appréciation de ces deux écrivains, dans tout ce qui tient à l’histoire littéraire proprement dite, on doit s’attendre que M. de Noailles sera moins complètement sur son terrain que quand il parlera de la société, de la diplomatie et du gouvernement. Cependant ses jugemens littéraires, toujours sages, sont parfois à citer pour la pensée et pour