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sait quel sanglant triomphe vint bientôt la sceller. Pour la seconde fois depuis le mois de mars, le souverain, naguère encore absolu, fut forcé de quitter Vienne et de fuir devant l’insurrection. La nomination de Jellachich au commandement de la Hongrie et le départ des troupes destinées à faciliter son entrée dans Pesth avaient été le prétexte de la bataille. C’était une grande victoire remportée par les Allemands et les Magyars sur la race slave, si les Magyars avaient été en position de tenir les engagemens contractés avec le radicalisme, c’est-à-dire d’anéantir Jellachich isolé et d’amener devant Vienne une armée magyare, non point de trois cent mille hommes, mais de trente mille hommes seulement.

Le contraire arriva, et il fut donné à Jellachich de trouver dans la victoire même des radicaux viennois l’occasion d’agrandir son rôle, de relever la cause des Slaves un moment compromise, et de peser davantage sur les destins de l’empire. Le danger est à Vienne plus qu’à Pesth, se dit-il, et au lieu de courir à l’ennemi impuissant pour le terrasser, c’est vers l’ennemi victorieux qu’il tourne son épée. Au moment même, où les Magyars affirmaient qu’il était en déroute et où l’Europe, trompée par de fausses nouvelles, croyait, en effet, le voir précipité en désordre dans les montagnes de la Styrie, il apparaissait calme et ferme aux portes de Vienne, avec ses troupes qui, à défaut de prises de corps avec l’insaisissable armée des Magyars, avaient combattu vaillamment et gaiement contre la nature, et accompli, au milieu des privations, une marche forcée digne de vieux soldats. Les Croates brûlaient, non pas de piller et d’incendier, mais de se battre contre des Schouabes et des Magyarons pour la gloire de l’homme qui leur paraissait résumer en lui les griefs et les espérances de leur nationalité. En effet, dans ce premier instant de trouble, au milieu du désordre, de la confusion et de la défaillance des impérialistes, Jellachich ne tenait-il pas en ses mains la fortune de l’empire ? S’il n’avait été qu’un vulgaire ambitieux, il l’eût brisé. Un coup d’épée lui suffisait pour trancher le lien qui retenait encore assemblés tant de membres en désaccord, et sa part n’eût pas été la moins belle. L’Illyrie autrichienne, c’est-à-dire la Croatie, l’Esclavonie, la Dalmatie et l’Istrie, puis la Carniole, la Carinthie et la Styrie méridionale auraient formé, sur l’Adriatique, avec Trieste, Fiume, Zara et Raguse pour débouchés, un état respectable qui aurait eu bien des moyens d’influence sur les Illyriens bulgaro-serbes, bosniaques et monténégrins. Si belle pourtant que fût la tâche de commencer l’organisation de la nationalité illyrienne et d’en être le premier souverain, Jellachich ne se laissa point séduire ; il était préoccupé de la civilisation générale, de l’équilibre européen, auquel l’existence de l’Autriche est indispensable dans le temps présent. Son ambition était de transformer, de régénérer la vieille Autriche par un principe