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également comme l’ami des Slaves de toute l’Autriche septentrionale.

Par malheur pour les Slaves autrichiens, le point de vue d’où ils envisageaient la situation de l’empire n’était pas le même chez tous, et les Polonais en particulier n’avaient pas tous une idée très nette de la politique de la Croatie et des intentions de Jellachich. Accoutumés à voir dans l’Autriche le plus perfide de leurs maîtres, encore saignans des blessures reçues de sa main en Gallicie et à Cracovie, quelques-uns pensaient que leur premier vœu devait être la dissolution de la monarchie autrichienne. Les Tchèques étaient moins hostiles à la dynastie de Habsbourg, quoiqu’ils eussent beaucoup souffert du germanisme. Jellachich pouvait donc, sans exciter la défiance des Tchèques, rester fidèle aux traditions illyriennes de l’alliance austro-croate ; mais le vrai sens de sa conduite restait mystérieux, inexplicable même, pour certains Polonais impatiens, ennemis des lenteurs, excellens soldats à tout propos, au risque de compromettre leur propre cause, et, au demeurant, mauvais diplomates. Bref, bien que la grande majorité des Tchèques et les Polonais sensés fussent de cœur ou de fait avec Jellachich, celui-ci, plein de foi en l’avenir, se lança en tête de ses seuls Illyriens à la poursuite de l’idée politique dont ils partageaient avec lui le secret.

C’était un dramatique spectacle, celui des soldats réguliers et des volontaires illyriens qui, frémissant d’une patriotique émotion et subjugués par la puissance du sentiment national, accouraient autour du drapeau levé par Jellachich. Les régimens-frontières avaient marché en Italie, ils y avaient combattu par devoir, froidement, sans enthousiasme : ils avaient, comme les régimens magyars, tchèques et polonais, subi la douloureuse fatalité du commandement militaire ; mais la guerre que les Croates allaient porter sur le territoire hongrois était une guerre nationale, la protestation des vaincus d’un autre siècle contre des conquérans orgueilleux, l’acte indépendant d’un peuple qui s’appartenait pour la première fois. Les régimens des colonies et les paysans prenaient les armes avec cette foi entière des peuples jeunes ; quelques-uns même allaient au-delà des vœux de leur chef, et lorsqu’il leur parlait ce langage démocratique et fraternel qui est celui de son caractère, c’était un tressaillement général, des cris de jivio, des vivat prolongés et entraînans. « Père, lui disaient-ils, nous partons pour aller te chercher à Bude la couronne de saint Étienne, et nous te suivrons jusqu’au bout du monde ! » C’était le sentiment avec lequel les soldats de Jellachich passaient la Drave, les uns fantassins des colonies, équipés comme les meilleures troupes de l’Europe, les autres volontaires en haillons, avec leur surka de toile ou de grosse étoffe, quelques-uns avec les manteaux rouges et le bonnet des Serbes et des Hellènes. Si primitif que ce spectacle pût paraître à des yeux accoutumés