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l’ordre de calmer le tempérament par le douloureux procédé de l’amputation. L’illyrisme se présenta dès lors triomphant à Vienne avec de nouvelles exigences, auxquelles M. de Metternich commença par sourire du bout des lèvres.

Les Croates possèdent ce regard fin et caressant, cette naïveté réfléchie, qui distinguent le Moscovite. M. Gaj ne s’annonça pas à Vienne comme le vainqueur du cabinet autrichien un peu désappointé ; l’habile publiciste feignit de croire que le massacre d’Agram était un fait indépendant de la politique ministérielle ; il affecta même d’y découvrir une sorte d’entente du ban Haller avec les Magyars, une conspiration organisée à l’insu de l’empereur pour contrarier l’illyrisme. M. de Metternich, heureux de voir la question ainsi comprise, souscrivit sur-le-champ à quelques-unes des demandes des Croates, et donna, quant aux autres, des promesses formelles. M. Gaj emporta de Vienne la destitution du ban de Croatie, avec la nomination de l’évêque patriote d’Agram en qualité de vice-roi intérimaire. La censure devait, aux termes de la même convention, se relâcher de sa rigueur et lever le veto mis sur plusieurs publications, au nombre desquelles se trouvait une histoire très hardie de tous les peuples illyriens, écrite en langue nationale par M. Gaj lui-même. Enfin, le cabinet consentait à la reconstitution de l’assemblée nationale de la Croatie, qui sortait peu à peu du chaos des vieilles coutumes, avec la pensée de centraliser l’action de l’illyrisme, et l’intention arrêtée d’amener la séparation absolue des deux royaumes de Croatie et de Hongrie. Quelles concessions exigeait-on des Croates pour prix de ces faveurs ? Une seule ; ils s’engageaient à appuyer dans la diète hongroise, où la Croatie était alors représentée, la politique du parti conservateur et autrichien. Qu’était-ce que ce sacrifice, en comparaison des avantages que l’on avait conquis sur les Magyars et sur l’Autriche, et de cette quasi-indépendance nationale acquise désormais à la Croatie ?

La révolution de février a trouvé les Croates occupés à organiser ces libertés locales qui devaient offrir un abri tutélaire à la nationalité. Aussi, en recevant le contre-coup des événemens de Paris, la nationalité illyrienne a-t-elle tressailli fièrement dans le sein de l’humble Croatie. A mesure que la révolution s’avançait vers l’Orient, l’illyrisme prenait plus d’ardeur et d’audace, sans s’éloigner toutefois de ces principes d’alliance austro-croate à l’ombre desquels il avait grandi. Plus l’émotion révolutionnaire était profonde dans l’Europe orientale et plus il y avait de probabilités d’une conflagration, plus aussi M. Gaj voyait la nécessité de s’assurer contre les Magyars une base d’opérations par le concours de l’Autriche. Diviser ses ennemis pour triompher de l’un d’abord, sauf à tomber sur l’autre un peu plus tard, c’était la politique à la faveur de laquelle la Croatie avait pris une