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le succès de la démocratie, et celui-là serait traité comme mauvais patriote qui hésiterait à sacrifier les vœux, même équitables, de son parti aux convenances de la cause nationale. Ainsi en est-il du moins chez les Croates et chez les Bulgaro-Serbes, leurs frères par le sang, chez les Tchèques de la Bohême, chez les Roumains de la Transylvanie et de la Moldo-Valachie. Qui n’encouragerait pas cet esprit, lorsqu’on se rappelle pour combien les querelles de partis et de systèmes doivent être comptées dans la ruine de la Pologne, en 1831, et dans la catastrophe plus récente de la Lombardie ? La Pologne et la Lombardie se sont affaissées l’une et l’autre dans leur victoire même, sous le poids des questions de partis. Les Croates, les plus humbles pourtant des peuples de l’Europe orientale, se conduisent avec plus de prudence ; ils ont profité de ce triste enseignement, ou plutôt ils ont donné, dès l’origine de leurs espérances, l’exemple de la tactique la plus sage, en subordonnant l’intérêt de leurs libertés publiques à celui de leur race.

La révolution commencée à l’est de l’Europe est donc moins une lutte contre l’aristocratie et la royauté qu’une guerre contre le principe de la conquête ; c’est moins la dissolution d’une vieille société que le bouleversement du vieux droit des gens ; c’est moins un progrès immédiat de la démocratie que l’avènement d’un nouveau code international. Le fait est simple et clair. D’où vient donc l’obscurité dont cette question reste enveloppée, même après que les événemens ont parlé ? C’est que cette révolution s’accomplit dans des circonstances très compliquées, en raison de la diversité des races qui se trouvent aux prises, des alliances contre nature formées sous l’empire de la conquête et de celles qui te adent à se refaire sous l’influence des affinités de langue. L’Autriche, pour sa part, ne contient pas moins de sept races distinctes : des Polonais, des Tchèques ou Bohêmes, des Magyars, des Roumains ou Valaques, des Illyriens ou Croates, des Italiens et des Allemands. La Turquie d’Europe n’offre pas une physionomie moins variée : elle renferme des Roumains dans la Moldo-Valachie, des Illyriens dans la Bulgarie, la Serbie et la Bosnie, et, au midi, des Albanais, des Hellènes et des Osmanlis. Enfin, la Prusse elle-même possède un lambeau de là race polonaise, et la Russie le reste, avec un autre lambeau de la race roumaine dans la Bessarabie. La race allemande à Posen et dans toute l’Autriche, la race moscovite dans le royaume de Pologne, la race ottomane dans la Turquie, sont races conquérantes. Les Magyars sont à la fois conquérans et conquis, conquis par rapport aux Allemands de l’Autriche, conquérans par rapport aux Illyriens de la Croatie et de l’Esclavonie, aux Roumains de la Transylvanie, aux Tchèques du pays slovaque. Si l’on ajoute à ces oppositions, de situation et d’intérêts celles du génie individuel et primitif de chacun de ces peuples, l’esprit slave et patriarcal des Polonais, des Tchèques, des Illyriens, le caractère latin