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sterl. par an. J. E. est priée de s’adresser à Mme Fairfax, Thornfield, près de Millcote. — Shire. » Voilà Jane, gouvernante de dix-huit ans, brisant sa cage, et, avec une vraie témérité d’Anglaise, s’envolant dans le monde, au hasard d’une annonce et d’une adresse.

Par une froide soirée d’octobre, Jane arrive à Thornfield. On l’arrête dans l’obscurité devant un château à longue façade. Une seule fenêtre est éclairée. La lumière passe sous la draperie d’un rideau relevé. Elle suit une servante dans une grande salle percée de hautes portes cintrées. Puis on l’introduit dans une chambre doublement illuminée par la clarté des bougies et la flamme du foyer, le spectacle le plus réjouissant pour une voyageuse attardée qui trouve enfin son nid : une charmante petite chambre bien fermée, bien chaude ; une table ronde près d’un feu flamboyant, un bon fauteuil à bras, et, au fond du fauteuil, la petite vieille dame la plus propre qu’il soit possible d’imaginer, en bonnet de veuve, robe noire et tablier de mousseline blanche comme neige, avec la plus douce figure du monde. C’est le beau idéal du comfortable domestique, et c’est toute une révélation, toute une existence nouvelle pour l’orpheline de Gateshead et de Lowood. La première fois de sa vie, elle est soignée, fêtée, choyée ; elle a une famille et, cette religion domestique de l’Anglais, un intérieur presque sien, un home. On l’installe au premier étage dans une jolie petite chambre meublée à la moderne. Le lendemain, lorsque le soleil lui sourit à travers l’ouverture des rideaux, elle s’éveille avec mille espérances joyeuses. Elle fait sa toilette de quakeresse avec une coquette complaisance ; elle regrette devant sa glace d’être si petite, si pâle, de n’avoir pas de jolies joues roses, une petite bouche de cerise, les traits les plus réguliers et les plus fins. Elle sort de sa chambre, traverse une longue galerie, descend le grand escalier de chêne qui mène à la vaste salle. Tout est nouveau pour elle ; elle regarde tout avec une curiosité émerveillée : les portraits de famille pendus aux murs, la lampe de bronze qui descend du plafond. Elle court sur la pelouse. Là s’étend devant elle, sous un beau ciel d’automne, la façade grise du château. Ce n’est point une résidence princière, c’est le manoir d’un gentilhomme, un grand bâtiment couronné de créneaux d’un aspect gothique et pittoresque, entouré de champs et de prairies, et au loin d’une ceinture de collines qui lui forment les horizons les plus reposés.

Mme Fairfax, la gentille petite vieille, n’était point la châtelaine douairière de ce manoir, elle en était la femme de charge. Thornfield appartenait à M. Edward Fairfax Rochester, un homme de quarante ans, qui avait long-temps voyagé, passait pour avoir mené une vie orageuse, et paraissait nourrir une sorte d’aversion pour son château de famille, où il ne faisait que des séjours courts et rares. Il y avait conduit récemment une petite fille française, une enfant de sept à huit ans