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membres d’une famille goûtent aux premières soirées d’hiver la douceur de se sentir réunis devant la flamme du foyer, autour de la table du salon, tandis que la pluie fouette les vitres et que la rafale pousse dans le parc dépouillé ses gémissemens les plus lugubres. C’est bien l’heure du roman, n’est-ce pas ? l’heure des longues lectures interprétées par les voix intérieures de l’ame.

Il me semble que cet état des esprits et des choses devrait susciter son romancier et inspirer des créations d’une sympathie et d’une couleur nouvelles, quelque chose de plus que des œuvres de pur amusement et de simple jeu littéraire. Sans doute, ennuyés à crier par la prose socialiste du jour, chacun de nous se prend à répéter tout bas, avec un soupir de convoitise :

Si Peau-d’Âne m’était conté,
J’y prendrais un plaisir extrême.

Cependant, conter pour conter n’est point assez. Nous demanderions davantage aujourd’hui. Plus que jamais nous voudrions que le romancier fût moraliste. C’est surtout dans des momens comme celui-ci que l’artiste est tenu de renvoyer à ses contemporains l’écho idéalisé de leurs agitations morales et de se mettre à l’unisson de leurs pensées, de leurs douleurs et de leurs espérances. Il y a plus : si l’art a gardé quelque puissance pratique sur la société, si la littérature conserve encore sur les mœurs une influence efficace, l’art et la littérature sont mis solennellement en demeure de remplir leur rôle utile et social. Quelle est la maladie de ce temps ? L’utopie, cette fausse poésie, crée de l’homme un idéal absurde et menteur. Elle réalise le mot de Montaigne et de Pascal : pour vouloir faire de l’homme un ange, elle le soûle et l’abêtit. Elle rêve pour l’homme une perfection mécanique, perfection monotone et sotte. Avec ce mirage qu’elle plaçait autrefois dans le passé sous le sobriquet d’état de nature, qu’elle projette maintenant sur l’avenir, dans une reconstitution générale de l’humanité, elle nie et détruit la société présente ; elle insurge les peuples contre les conditions mêmes de leur existence ; elle provoque les nations au suicide. Cette erreur trompe sans doute des aspirations généreuses, mais elle flatte aussi de méprisables défaillances. Que cherche-t-on dans l’utopie ? Un mécanisme social qui épargne aux hommes la lutte avec la vie, qui les dispense de la douleur, c’est-à-dire de l’effort, du travail, de l’action, c’est-à-dire encore de ce qui fait la vertu et la gloire humaine. L’utopie socialiste est donc l’expression et le vœu de la paresse des esprits, de l’abaissement des imaginations et de la lâcheté des caractères. L’utopie socialiste doit surtout séduire des hommes qui sont bien capables de tenter une insurrection dans l’espoir d’en finir d’un coup avec la bataille de la vie, mais qui ont peur de cette bataille