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appellent la bourgeoisie en souffre bien autant que ce qu’ils appellent le peuple, et cet aveu dérangerait peut-être leurs calculs.

La tyrannie exercée sur les capitaux de tous les genres, voilà donc le caractère distinctif du régime des banques privilégiées. Il en résulte, en temps ordinaire, pour les détenteurs de ces capitaux, des pertes d’intérêts, des embarras cruels ; pour le pays, une paralysie funeste d’une grande partie du fonds social, une stagnation habituelle dans les affaires, et, au moindre effort pour en sortir, une catastrophe. Que si le travail souffre de cet état de choses, ce qui n’est pas douteux, c’est qu’il subit forcément, même à son insu, le contre-coup de tous les désordres dont le capital est affecté.

Est-il nécessaire de dire maintenant comment la liberté des banques apporterait un remède certain à tous ces maux ? On a déjà pu le comprendre. Supposez qu’en 1844 ou en 1845 il eût été permis d’établir une seconde banque à Paris. Elle aurait recueilli, pour composer son fonds social, une bonne partie des capitaux alors oisifs dans les caves de la Banque ou dans les caisses des banquiers. L’escompte des effets de commerce n’eût pas diminué pour cela, au contraire, puisque les deux banques l’auraient effectué concurremment. Ainsi les affaires, loin de se ralentir, auraient pu prendre même un plus rapide essor. Seulement, comme une bonne partie des fonds alors inoccupés aurait trouvé là son emploi, la spéculation sur les chemins de fer eût été peut-être moins ardente. Dans tous les cas, la nouvelle banque, n’avant à rendre compte à personne des fonds prêtés par elle, puisque ces fonds auraient été les siens, aurait pu laisser cette spéculation s’épanouir à l’aise, sans en redouter aucunement les suites. Quant à la première banque, privée d’une notable partie des dépôts que d’ordinaire on lui confie, puisque ces dépôts seraient allés chercher leur placement dans la nouvelle, elle aurait senti dès cette époque la nécessité de rappeler son propre capital, alors presque entièrement absorbé en achats de rentes : au lieu donc d’opérer presque exclusivement avec les capitaux d’autrui, elle aurait fait valoir les siens. Par là, elle eût été prémunie d’avance contre la crise future. Dans cette situation, la spéculation sur les chemins de fer, la disette même des céréales, auraient pu survenir, sans causer le moindre ébranlement.

Si l’établissement d’une seconde banque n’avait pas suffi, ce qui est très probable, pour absorber les capitaux dormans, il s’en serait formé une troisième qui eût encore mieux raffermi la position. Les escomptes se seraient étendus sans aucun doute, au grand avantage de l’industrie et du commerce, mais sans danger pour le pays. Les trois banques instituées étant forcées de se restreindre chaque jour davantage à l’emploi de leurs propres fonds, la possibilité d’une crise se serait éloignée de plus en plus. Chacune pourtant aurait ajouté quelque