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même où elle siége. Il s’y manifeste un engorgement tel, qu’on ne sait plus littéralement que devenir avec ses fonds. Les capitalistes, petits ou grands, se battent sur place ; toutes les valeurs publiques s’avilissent ; la bourse nage dans l’or. Par une conséquence naturelle, l’afflux des dépôts à la banque augmente toujours. On pourrait donc étendre plus loin ces hypothèses, supposer, par exemple, des émissions de 250 millions, comme celles de la Banque de France, ou de 400 millions et plus, comme celles de la banque de Londres, mais à quoi bon ? Ce qui précède suffit pour montrer la tendance irrésistible des faits, et on entrevoit déjà les conséquences. Quand les choses sont arrivées à ce point, on peut dire à coup sûr que le moment de la crise approche.

Comment se fait-il, dira-t-on, que tout ce numéraire surabondant ne s’écoule pas à l’étranger ? Il s’en écoule certainement une grande partie ; mais comment ? Ce n’est pas par le canal des capitalistes auxquels appartient le droit d’en disposer, car ces capitalistes, occupés seulement à chercher autour d’eux un placement pour leurs épargnes, n’ont aucune relation avec l’étranger : c’est par le canal du commerce, auquel il a été prêté par la banque. Voici d’ailleurs comment cet écoulement au dehors s’opère, sans que les commerçans même s’en doutent. Par suite de l’abondance du numéraire sur place, la demande des marchandises augmente et les prix s’élèvent. Ces prix devenant ainsi, pour un temps, un peu supérieurs aux prix étrangers, l’exportation des marchandises indigènes diminue, et l’importation des marchandises étrangères augmente. Les différences sont payées en monnaie[1], jusqu’à ce que le trop plein en numéraire effectif ait cessé.

Considérée en elle-même, cette exportation du numéraire ne serait point un mal ; loin de là, ce serait un bienfait réel. Au lieu de garder inutilement dans ses mains toute cette masse de monnaie stérile, le commerce irait la convertir ait dehors en matières brutes, en instrumens de travail, en marchandises de toutes les sortes, qui viendraient s’ajouter au capital productif du pays. Quoi de plus favorable à l’accroissement du bien-être général ! Malheureusement, dans l’hypothèse où nous sommes placés, ce numéraire exporté reste dû aux capitalistes qui l’ont déposé en compte courant à la banque ou entre les mains de

  1. C’est dans cette situation que le change avec l’étranger devient, comme l’on dit, défavorable ; circonstance dont le parlement anglais s’est beaucoup préoccupé, sans la bien comprendre, lors de la présentation du bill de 1844 relatif à la limitation des émissions des banques, et dont sir Robert Peel a singulièrement abusé auprès de la partie ignorante de la chambre des communes. En fait, ce change défavorable est un symptôme de prospérité croissante ; aussi ne se manifeste-t-il que dans les belles années. Il est très vrai cependant qu’en raison du monopole de la banque et du crédit tout artificiel que ce monopole engendre, ce symptôme de prospérité actuelle devient presque toujours le signe avant-coureur de quelque grand désastre.