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réduite à ces termes, on ne voit pas bien comment nous aurions pu nous refuser honnêtement à imiter la conduite du gouvernement autrichien. Les adversaires modérés du cabinet lui firent un grief d’avoir laissé venir les circonstances qui le réduisaient à cette dure extrémité, de manquer à la parole de la France, ou de déserter la cause de nos intérêts en Italie. M. Thiers établit qu’il avait su, à une autre époque, esquiver pareille alternative. D’autres orateurs prirent soin d’énumérer toutes les fins de non-recevoir que, de bonne foi, il aurait été possible d’opposer au saint-siège et au cabinet de Vienne. Ces dissentimens entre personnes qui adhéraient, au fond, à une même politique parurent plus graves au public qu’ils ne l’étaient en effet : il s’agissait d’une question de conduite et d’avenir. Au point de vue italien, les orateurs de l’opposition d’alors avaient raison. La mesure à laquelle le cabinet français avait consenti affaiblissait notre situation dans la péninsule ; elle aurait pu être indéfiniment ajournée ; mais, à considérer l’ensemble de nos relations avec l’empire d’Autriche, peut-être cet abandon d’une position avantageuse sur un des points où s’exerçait notre influence était-il nécessaire pour prendre sur un théâtre plus grand de plus importans avantages. On pensera sans doute qu’une considération de cette nature décida surtout M. Molé, si l’on songe à l’attention que les politiques avisés et soucieux de l’avenir donnaient, dès cette époque, aux affaires d’Orient.

En Orient, plus que partout ailleurs, nous avions besoin de nous ménager à l’avance le concours du cabinet autrichien. Le jour où cette question épineuse, à faces si divergentes, sortirait des généralités banales dans lesquelles elle avait été jusqu’alors renfermée à dessein, nous devions nous attendre, quelle que fût notre ligne de conduite, à rencontrer la jalouse opposition de la Russie, et nous n’étions pas assurés de la bonne volonté de l’Angleterre. L’Autriche était pour nous un auxiliaire précieux qui n’avait à nous faire et à nous demander aucun sacrifice. Ses intérêts étaient les mêmes que les nôtres. Comme nous, le gouvernement autrichien souhaitait sincèrement le maintien de l’empire ottoman, et, si cet empire devait périr et être démembré, il devait lui répugner autant et plus qu’à nous de voir le cabinet de Saint-Pétersbourg s’adjuger les grosses parts sur le continent, — et, dans la Méditerranée, l’Angleterre augmenter son importance maritime aux dépens de la marine marchande de Trieste et de Venise. Les vues étaient trop semblables pour qu’il ne fût pas possible de se mettre d’accord. M. de Metternich inclinait visiblement à se rapprocher de nous. Plus qu’à l’ordinaire, il donnait carrière à sa mauvaise humeur secrète contre les envahissemens si incommodes de l’empereur de Russie. Il écoutait avec moins de trouble les appels de l’ambassadeur de France à Vienne ; il lui faisait même des demi-confidences assez inattendues.