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et la pusillanimité de ses actes. Ils se sont étonnés de voir un esprit aussi ferme garder tant d’inquiètes préoccupations au sein de l’Europe raffermie et paisible. Ses continuelles doléances sur l’état précaire des sociétés et des gouvernemens modernes, ses violentes sorties contre la marche ascendante des doctrines révolutionnaires ont passé, aux yeux de bien des gens, pour les préoccupations d’un vieillard chagrin. Ces reproches n’étaient pas tous fondés. Le prince de Metternich a fait preuve de vigueur en étouffant rapidement en 1831 les tentatives insurrectionnelles du nord de l’Italie ; il a déployé beaucoup de décision en contenant, par un redoublement de sévérité dans la législation diétale de Francfort, les efforts des libéraux allemands. Il a ainsi montré qu’il n’hésitait pas à s’engager résolûment dans toutes les affaires, quelque difficiles qu’elles fussent, où le sort de l’Autriche était clairement engagé. Il n’en a pas été de même, il est vrai, dans les questions d’équilibre européen, ou dans celles qui impliquaient des idées d’avenir un peu plus étendues. M. de Metternich laissait apercevoir alors une irrésolution et une timidité mal déguisées. Quelquefois il se jetait avec une sorte d’entraînement dans des voies aventureuses, puis il s’en retirait avec une précipitation égale sitôt qu’il apercevait les moindres obstacles. Ces retours devenaient de véritables déroutes, pour peu qu’il eût vu apparaître devant lui la physionomie mécontente de l’empereur de Russie. Le ressentiment du czar était de ceux qu’il n’aurait voulu affronter à aucun prix. A la crainte excessive que lui inspirait ce terrible voisin, au sombre effroi que lui causaient les tendances constitutionnelles et presque démagogiques de plusieurs provinces de l’empire, il faut attribuer sa participation aux violences commises contre la nationalité polonaise, le rôle subalterne accepté par l’Autriche dans la confiscation de Cracovie et la répression cruelle des troubles de la Gallicie. M. de Metternich n’a certainement point inspiré les excès sauvages de 1846, il les a déplorés : il n’a osé les désavouer ni les punir. Si l’on essayait de faire sentir au chancelier autrichien combien cette conduite était peu digne du ministre d’un grand état civilisé, à quel point sa subordination constante envers le czar était contraire aux traditions de la cour aulique, habituée à surveiller d’un œil si jaloux les empiétemens de la Russie, il se rejetait aussitôt sur la situation de l’Europe ; il affirmait que la tranquillité dont on jouissait n’était qu’une trêve ; il répétait que toutes les puissances étaient également tenues en échec par l’esprit d’anarchie et sourdement minées. A ses yeux, la Russie seule restait intacte et ferme. Seule, elle était destinée peut-être à sauver un jour l’Allemagne ; le moment n’était point venu pour aucune puissance allemande, pour l’Autriche moins que pour toute autre, de rompre avec la Russie. Le prince de Metternich avait-il donc si tort, à ne considérer que l’intérêt des gouvernemens