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laisse à penser, cher ami, combien peu j’ai d’agrémens dans ces réunions où les sujets de conversation sont si peu attrayans, si vides de plaisir pour le cœur. »

Robert recherche l’isolement, l’isolement le ronge ; il est assiégé de superstitions, et, suivant l’expression de son frère, son existence n’est plus désormais que comme une contrée dévastée. Dans ses momens de calme et de lucidité, le malheureux se demande compte de cette fâcheuse tendance de son esprit ; il analyse le désordre de ses facultés mentales : « Je crois, dit-il par un pressentiment terrible, que c’est un mal qui est dans le sang. Quelles en sont les raisons ? quels en sont les remèdes ? Je l’ignore. Ne le voit-on pas, ce mal, dans des familles entières, y faire des victimes sans causes positives ? »

Un volume ne suffirait pas à reproduire toutes les lettres de ce temps où le malheureux artiste découvre son ame endolorie. Les tristesses y viennent par bouffées à travers des réflexions nuageuses sur le présent et sur l’avenir, et jettent comme un voile de deuil sur tous ses épanchemens. Son imagination malade épuise successivement toutes les gammes de la douleur, et le cœur saigne à l’entendre dire : « Je suis gai, » au moment où de cruelles étreintes lui font rouler les larmes dans les yeux. Déjà le toedium vitoe de la folie ébranlait son cerveau, égarait son ame et la noircissait de terreurs ; déjà le suicide rentrait dans ses idées délirantes. Parfois, l’oppression de sa poitrine le force à jeter la palette, et, en un instant, il passe des défaillances de l’esprit à la plus déchirante douleur, au plus violent désespoir, au plus affreux abattement. Des rêves de bonheur s’entrechoquent dans sa tête avec de sinistres hallucinations. Ses yeux se voilent, son front se brise, un froid mortel le glace, surtout à la tête, et de son sein s’échappent, sans causes apparentes de douleur, de longs cris de spasme et d’angoisse. Ainsi, une fois, comme on l’a vu dans la lettre d’Aurèle, il accourt tout éperdu à l’atelier de son frère et tombe échevelé sur une chaise, en s’écriant : « C’est fini de moi ! dans quelques jours, je serai mort ! » Trompé de la sorte par l’effervescence et le mouvement irrégulier de ses esprits, il a des anéantissemens inexplicables, il a des agonies imaginaires, il ne se sent plus vivre, comme si un voile séparait son intelligence de ses sensations réelles, et bientôt la respiration lui manque sous les débris de sa raison. Souvent, à l’époque voisine de sa mort, on le rencontrait tout effaré dans les rues de Venise ; souvent, chez lui ou chez Aurèle, il se regardait dans la glace, et se faisait peur à lui-même : « Quelle figure ! quels yeux fixes ! s’écriait-il, parlant à son frère ; un tel, que j’ai rencontré, m’a regardé d’un air étrange ; j’ai l’air d’un fou ! » Et comme il songeait, dans ce temps-là, à un voyage soit en France, soit en Suisse, il ajoutait : « Je n’oserais partir en cet état. S’il allait m’arriver un malheur en route ! Je t’en prie, viens donc avec